Homélie pour le Vème Dimanche du Temps Ordinaire, année A

Dimanche 9 février 2020

Frères et sœurs bien-aimés,

Dimanche dernier, en compagnie du vieillard Siméon et de la prophétesse Anne, nous avons acclamé le Christ, « lumière des Nations » (Lc 2, 32). Quarante jours après sa Nativité, nous avons fait mémoire de sa présentation au Temple. Les chandelles allumées que nous portions alors, symbolisaient notre foi : la foi qui nous éclaire ici-bas. En effet, le Christ est la « lumière véritable », « la lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jn 1, 9) comme l’affirmait Saint Jean dans le prologue que nous avons médité au jour de Noël. La lumière de la foi éclaire notre marche ici-bas ; elle nous guide à la rencontre du Seigneur. C’est la raison de cette procession que nous avons accompli au jour de la Chandeleur. En tenant ces chandelles, nous rendions visible notre foi ; en avançant vers l’autel, nous symbolisions la vie chrétienne qui avance à la rencontre du Seigneur.

Simon VOUET, La Présentation au Temple, 1640, musée du Louvres, Paris

Souvenons-nous, dans l’Evangile, la parabole que le Divin Maître livre à notre méditation, celle des 10 jeunes vierges (cf. Mt 25, 1-13). Elles attendent, dans la nuit de ce monde, le retour de l’Epoux. Le voilà justement qui survient. Mais seules les jeunes filles ayant les réserves d’huile nécessaires, peuvent allumer leur lampe et courir à sa rencontre. L’Epoux leur ouvre alors les portes de la salle des noces qui demeureront fermées pour celles qui ont laissé s’éteindre la lumière de la foi. « Je ne vous connais pas » (Mt 25, 12) leur déclare-t-il, alors qu’elles tambourinent à la porte. En cela, le Seigneur nous exhorte à garder, dans la lampe de notre âme, bien vive, la lumière de la foi : « Demeurez vigilants car vous ne connaissez ni le jour, ni l’heure où le Fils de l’homme viendra » (Mt 25, 13).

« Vous êtes la lumière du monde » Mt 5, 14-16

Que le Christ soit notre lumière transparaît particulièrement dans l’Evangile selon Saint Jean dans lequel le Seigneur déclare : « Moi, je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12). Pourtant, dans l’Evangile selon Saint Matthieu que nous venons d’entendre, le même Seigneur déclare à l’endroit des disciples : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14). N’y aurait-il pas là une contradiction ? Qui donc est la lumière du monde ? Le Seigneur pour Saint Jean ? Ou les disciples pour Saint Matthieu ? Mais la contradiction ne tient pas longtemps, elle n’est qu’apparente.

François BOUCHER, La lumière du monde, 1750, Musée des beaux-arts de Lyon

Lorsque le Seigneur déclare en Saint Jean « Je suis la lumière du monde », il poursuit : « Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie. » (Jn 8, 12). C’est donc à la suite du Seigneur qui est la « vraie lumière » (Jn 1,9), que nous recevons « la lumière de la vie » divine (Jn 8, 12). Cette lumière nous a été symboliquement transmise au jour de notre baptême. Ainsi le prêtre nous déclarait-il :

Recevez ce cierge allumé. Gardez sans reproche la grâce de votre baptême. Observez les commandements de Dieu ; ainsi, quand le Seigneur viendra pour les noces éternelles, vous pourrez aller à sa rencontre avec tous les Saints dans la cour céleste et vivre dans les siècles des siècles.[1]

Entendez-vous, sous cette remise du cierge, l’écho de la parabole des dix jeunes filles ? Nous avons à conserver précieusement la lumière de la foi pour avancer à la rencontre du Seigneur. Mais, chemin faisant, cette lumière qui nous éclaire, doit transparaître dans chacune de nos actions. C’est dans cette perspective que Saint Matthieu nous rapporte la déclaration du Seigneur : « vous êtes la lumière du monde ».

Elle s’accompagne alors d’une sérieuse mise en garde : « Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faîtes de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux ». Le Seigneur nous envoie donc dans le monde porter haut le témoignage de la foi. Ainsi nous n’avons pas à cacher cette lumière sous le boisseau mais à la poser sur le lampadaire. Qu’est-ce à dire ?

Dans la nuit de la foi qui nous entoure, le monde tolère que la foi éclaire la vie privée du chrétien. Il ne l’encourage pas comme sous l’ancien régime ou en régime concordataire. Il le tolère seulement. En revanche, il refuse catégoriquement que cette lumière éclaire, comme jadis, la vie publique. Le chrétien est donc invité dans le monde à mettre sa foi sous le boisseau. Mais le Seigneur nous invite à résister : « on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, on la met sur le lampadaire et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison ». Dans cette image, le chrétien n’est pas tant la lumière que le lampadaire. La vie chrétienne consiste donc à porter haut la lumière que nous avons reçue du Christ. Si haut que le chrétien peut alors être considéré comme « la lumière du monde ». Une lumière qui a pour vocation d’éclairer le monde par sa sagesse et sa vérité, par sa justice et sa miséricorde, par son amour de Dieu et son amour du prochain.

Matthias GRUNEWALD, retable d’Issenheim, La Résurrection, v 1512, musée Unterlinden, Colmar

« Vous êtes le sel de la terre » Mt 5, 13

Pour vivre l’exigence d’une vie chrétienne authentique, le Seigneur a fait précéder son envoi en mission  – « Vous êtes la lumière du monde » – d’une autre image : « vous êtes le sel de la terre ».

Dans notre usage quotidien, le sel est ce condiment ordinaire qui vient relever le goût des aliments[2], quels qu’ils soient. Dans cette perspective, on aurait tôt fait de penser que le chrétien doit assaisonner le monde. Peu importe les valeurs que le monde véhicule ; peu importe qu’il refuse Dieu ; peu importe qu’il contredise la loi naturelle… Le chrétien vient y mettre son grain de sel et tout est alors parfait dans le meilleur des mondes. Vous comprenez bien qu’un tel relativisme est, au contraire, un contre témoignage. C’est ce que le Seigneur dénonce : « Si le sel devient fade, comment lui rendre sa saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens ». La foi chrétienne n’est-elle pas aujourd’hui piétinée ? Ne s’est-elle pas sérieusement affadie ? Si le monde a sa part de responsabilité, l’Eglise est-elle innocente ? N’entretient-elle pas cet état de flou ? Cet état d’affadissement ? N’est-ce pas dans cette perspective que le Seigneur dans l’Evangile nous interroge non sans gravité :

Le Fils de l’homme quand il reviendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?

Lc 18, 8

Laissons de côté ces questions, ô combien légitimes, et approfondissons ce qu’est le sel dans les Saintes Ecritures, afin de comprendre ce que le Seigneur veut nous dire sous cette image.

Tout d’abord, le sel n’est pas une denrée rare. La mer morte contient d’inépuisables réserves de sel. Cette mer est d’ailleurs quatre fois plus salée que ne le sont les autres océans. Le livre de la Genèse en parle comme de la « mer salée »[3] et les livres des Maccabées[4] attestent que l’extraction comme la vente du sel sont un monopole royal, source d’une grande richesse car le sel est, avant tout, un conservateur. Le poisson comme la viande sont salés afin de se conserver dans le temps. Ainsi, en déclarant que les disciples sont le sel de la terre, le Seigneur laisse entendre que nous devons être des conservateurs. C’est ce qu’affirme Saint Jérôme, [5]

les Chrétiens « sont appelés sel de la terre parce que par eux le genre humain est conservé ».

Saint Jérôme

Mais que faut-il donc conserver Seigneur ?

Pour répondre à cette question, il nous faut prendre la direction du Temple de Jérusalem sous l’ancienne Alliance. Comme le prescrit le Lévitique[6], toutes oblations, toutes offrandes faites au Seigneur devront être abondamment salées. On parle alors du sel de l’alliance car le sel, en tant que conservateur, devient le symbole de l’alliance perpétuelle que Dieu a contracté avec son peuple[7]. Ainsi, en déclarant que ses disciples doivent être le sel de la terre, le Seigneur nous invite à conserver la nouvelle Alliance scellée par son sang. Sel de la terre, nous avons à porter le témoignage de cette Alliance nouvelle et éternelle, qui a été versé pour [n]ous et pour la multitude, en rémission des péchés[8].

Philippe de CHAMPAIGNE, Moïse, v 1650, musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg

Si nous trouvons au Temple de Jérusalem un vaste grenier du sel, c’est également parce que le sel sert à l’offrande de l’encens. En effet, en instituant l’offrande du parfum le Seigneur précise à notre Patriarche Moïse qu’en plus des aromates, l’encens devra être salé[9]. Mêlé à l’encens, le sel facilite la combustion du parfum. Ainsi, en déclarant que nous sommes le sel de la terre, le Seigneur attend-il que nous lui offrions l’encens de notre prière, l’encens de notre union à Dieu. Être le sel de la terre c’est donc une « œuvre de parfumeur » (Ex 30, 35) : nous avons à répandre la bonne odeur du Christ qu’évoque Saint Paul dans la seconde Epître aux Corinthiens (2 Co 2, 15).

Adresse finale à Notre Dame de Lourdes

Sel de la terre, lumière du monde, levons les yeux vers Celle que nous fêterons le 11 février ; Celle qui, dans le creux du rocher, est venue à Lourdes afin que nous ne nous affadissions pas ; afin que ne s’éteigne pas en nous la lumière de la foi. Ecoutons-la, à l’unisson de son Fils, nous appeler à la prière, à la conversion, à la pénitence.

Puissiez-vous, ô Notre Dame de Lourdes, prendre en pitié ce monde qui s’éloigne chaque jour davantage du Royaume de Dieu. Puissiez-vous nous prendre chacun par la main et nous conduire à la rencontre de votre Divin Fils. Ainsi soit-il.

abbé Benjamin Martin


[1] Rituel du Baptême, forme extraordinaire.

[2] Cela n’est attesté que dans le Livre de Job, 6,6 : « Un mets fade se mange-t-il sans sel ? ».

[3] Mer salée cf. Gn 14, 3. Voir aussi Nb 34, 12 ; Dt 3, 17.

[4] 1M 10, 29 ; 1 M 11, 35. Nous sommes alors à l’époque des Séleucides.

[5] Cf. St Thomas d’Aquin, Catena Aurea, Sur l’Evangile de Saint Matthieu, trad. Nicolai, Ed. L Vivès, p.258.

[6] Lv 2, 13 : « Tout ce que tu offriras en oblation, de sel tu le saleras et tu ne laisseras pas ton oblation manquer du sel de l’Alliance de ton Dieu. Sur toutes tes offrandes tu offriras du sel ».

[7] Cf. Nb 18, 19.

[8] Cf. Paroles de la consécration sur l’offrande de vin, Canon Romain.

[9] Ex 30, 34-35 : « Le Seigneur dit à Moïse : Procures-toi des aromates : storax, ambre, galbanum aromatique et encens pur en parties égales. Tu en feras un encens parfumé qui soit salé, pur et saint. C’est une œuvre de parfumeur ».

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