Homélie pour le IIIème Dimanche du Temps Ordinaire, année A

Dimanche 26 janvier 2020

Frères et sœurs bien-aimés,

Comme nous y invite l’Evangile que nous venons d’entendre (Mt 4, 12-23) : mettons-nous à la suite du Seigneur. Le voici quittant les bords du Jourdain pour gagner ceux du lac de Génésareth ; nous passons avec Lui de la Judée à la Galilée. Le Seigneur se rend plus précisément sur les territoires de Zabulon et de Nephtali. La région de Zabulon lui est bien connue, lui qui a grandi dans le village de Nazareth, auprès de la Bienheureuse Vierge Marie et de Saint Joseph. Il quitte alors Nazareth, nous dit Saint Matthieu, pour s’établir à Capharnaüm, dans la région de Nephtali (Mt 4, 13).

Les raisons d’un déplacement

La raison de ce déplacement est double. Saint Matthieu nous précise tout d’abord que lorsque le Seigneur apprit l’arrestation de Saint Jean-Baptiste, il se retira en Galilée (Mt 4, 12). Interrogeons-nous un instant avec Saint Jean Chrysostome : le Seigneur aurait-il peur pour ainsi battre en retraite ? Non, répondit-il, s’il nous donne l’exemple de « fuir devant le danger », « il partit de la Judée pour réserver sa passion à un temps plus opportun »[1]. En effet, Jean-Baptiste, la voix qui crie dans le désert, est réduit au silence par sa captivité. Le Verbe de Dieu doit, quant à Lui, se faire entendre en proclamant la Bonne Nouvelle. C’est pourquoi, nous précise Saint Anselme dans la Glose, il se rend sur les territoires de Zabulon et de Nephtali, c’est-à-dire dans une « région mitoyenne »[2] entre la Judée et les puissances étrangères, entre la foi juive et les religions païennes pour manifester, en cette terre que l’on nomme alors le carrefour des Nations, que Lui, l’unique Seigneur, est venu pour que tous nous soyons sauvés.

Flabellum de Londres, scène 6, l’arrestation de Saint Jean Baptiste, British Museum

Saint Matthieu donne une seconde raison à ce déplacement. Une raison plus ancienne que la nouvelle récente de la captivité du Baptiste. Si le Seigneur vient en Galilée c’est pour accomplir la prophétie d’Isaïe concernant les terres de Zabulon et de Nephtali (Mt 4, 14). Pour comprendre et méditer cette prophétie (Is 8, 23 – 9,1), il nous faut revenir à la fondation d’Israël.

Histoire Sainte d’Israël

Avant d’être une nation, Israël est le nom donné à notre Patriarche Jacob en suite de son combat avec l’Ange (Gn 32, 28-29). Jacob (ou Israël) eut douze fils qui sont à l’origine des douze tribus se partageant le territoire d’Israël. Ainsi en est-il pour Nephtali, le 6ème fils de Jacob et pour Zabulon son 10ème enfant.

Or voilà que dans l’histoire sainte, après la mort du Roi Salomon, le Royaume unifié par les règnes de Saül et David se divise. D’un côté les tribus de Juda, de Benjamin ainsi que celle de Lévi attachées au culte du Temple de Jérusalem demeurent fidèles au Dieu unique, à sa loi, à son alliance comme à son roi légitime : Roboam, fils de Salomon. Ces territoires autour de Jérusalem forment alors le Royaume de Juda, le Royaume du Sud.

Bible en image, miniatures pour le III Livre des Rois, Roboam refusant d’alléger le joug du peuple, 1197, abbaye Saint Pierre, Corbie

En effet, les tribus du Nord, dont celles de Nephtali et de Zabulon, décident de suivre Jéroboam dans son complot politique comme dans son schisme religieux. Ce dernier se fait sacrer roi et, comme le répète inlassablement les chroniques des Livres des Rois, lui et ses descendants « firent ce qui déplaît au Seigneur »[3]. Ils s’écartèrent de la foi dans le Dieu unique en y préférant l’exotisme des idoles païennes. Et, pour contrer le Temple de Salomon, Jéroboam en fit bâtir deux, à Dan et à Béthel, dans lesquels le veau d’or symbolise Dieu et dans lesquels on est invité, par un nouveau sacerdoce, à rendre un culte aux idoles.

Voilà l’opprobre faite à Dieu qui ouvre la prophétie d’Isaïe. Ce peuple a décidé de préférer à la lumière de la foi, les ténèbres conduisant à l’ombre de la mort. En raison de leur infidélité, voilà que ces tribus seront annexées par le Royaume Assyrien. C’est la honte qu’évoque le prophète Isaïe. Et sous le règne de Pécha, voilà que les tribus de Zabulon et Nephtali seront déportées (2 R 15, 29). C’est la honte ultime, la punition divine : l’exil de la Terre Promise. Et c’est ainsi que les tribus infidèles seront peu à peu dissoutes et à jamais perdues.

L’espérance de la prophétie d’Isaïe Is 8, 23 ; 9, 1 / Mt 4, 15-16

Mais Dieu prenant toujours les devants dans sa miséricorde, donne à voir au prophète Isaïe la rédemption. Ce peuple qui marchait dans les ténèbres verra une grande lumière se lever. En effet, Celui qui se présente à nous en déclarant « Je suis la Lumière du monde » (Jn 8, 12), le Seigneur Jésus choisit les terres infidèles de Zabulon et de Nephtali pour se révéler au grand-jour. Lui que Zacharie, le père de Saint Jean-Baptiste, acclamait comme « la Lumière d’en haut qui vient nous visiter » (Lc 1, 78), est né à Bethléem en Judée certes, mais grandit sur la terre de Zabulon. Parvenu au zénith de sa vie publique, voilà que « celui qui éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jn 1, 9), s’établit à Capharnaüm sur la terre de Nephtali. Capharnaüm dont le nom signifie ville de la consolation, accueille celui qui vient consoler son peuple, celui qui est le consolateur de toutes les Nations.

L’appel des premiers disciples Mt 4, 18 -23

C’est là, sur les bords de la mer de Galilée que le Seigneur voit André et son frère Simon. C’est là qu’il voit les fils du tonnerre, Jacques et son frère Jean. C’est donc sur la terre de Nephtali que le Seigneur appelle ses premiers disciples, ceux qu’il prédestine à être ses Apôtres. Ils seront ces quatre plus proches disciples. Simon sera d’ailleurs appelé Pierre car il est appelé à être la pierre sur laquelle le Seigneur bâtira son Eglise (Mt 16, 18). Une Eglise qui est le nouvel Israël. Si Israël était fondé sur les douze fils de Jacob, l’Eglise repose sur les douze Apôtres que le Seigneur envoie de toutes les Nations pour faire des disciples.

Domenico GHIRLANDAIO, La vocation des Apôtres, fresque, 1481, Chapelle Sixtine, Vatican

Actualisations de l’espérance de la prophétie d’Isaïe

Mais aussi intéressant que puissent être ces considérations géopolitiques d’un autre temps, il nous reste à affronter une question : en quoi cela nous concerne-t-il aujourd’hui ? Pourquoi notre Sainte Mère l’Eglise nous donne-t-elle à entendre la prophétie d’Isaïe, et dans la première épître, et dans la citation qu’en fait Saint Matthieu dans l’Evangile ? Il y a deux raisons à cela.

La première nous concerne chacun individuellement. Lorsque nous nous éloignons de Dieu ; lorsque nous refusons de suivre sa loi ; lorsque nous préférons le vice à la vertu ; lorsque nous préférons les ténèbres du péché à la grâce de Dieu : notre âme est comparable aux terres de Zabulon et Nephtali. La conséquence est identique : nous encourons l’exil de la terre Promise que nous est le Paradis. Que faut-il donc faire ? Il nous faut accueillir le Christ, la lumière intérieure de notre âme et lui laisser éclairer notre conscience. Ecoutons-le qui  déclare ce matin dans l’intimité de nos âmes : « Convertissez-vous car le Royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4, 17).

Mais que faut-il donc faire Seigneur pour se convertir ? Que faut-il donc faire pour accéder au Paradis ? La réponse peut être déconcertante dans sa simplicité : « Venez à ma suite » (Mt 4, 19). Il nous suffit d’ouvrir notre âme au Christ pour qu’il nous conduise, par l’Eglise, jusqu’à la Gloire du Ciel.

MICHEL-ANGE, Le prophète Isaie, fresque, 1509, chapelle Sixtine, Vatican

La seconde raison lui est semblable mais sur une autre échelle. Cette prophétie ne nous concerne plus individuellement mais collectivement.

La France, que le poète dans sa chanson appelait « douce France »[4], est aujourd’hui aussi amère que divisée. Notre France jadis si chrétienne qu’on la désignait comme la lumière des peuples ; la France qui dans le projet de Dieu est la fille ainée de l’Eglise en raison du baptême de notre roi Clovis en l’an 398 ; notre France avec son manteau de cathédrales, sa cohorte de Saints que nul ne peut dénombrer (Cf. Ap 7, 9), est depuis quelques années bien comparable aux terres de Zabulon et de Nephtali. Notre France est aujourd’hui un vrai Capharnaüm[5], c’est-à-dire dans un grand état de désordre.

Mais ne nous laissons pas aller à la désespérance de ce monde qui passe et qui a préféré au règne de Dieu celui si prometteur de l’argent (Mt 6, 24). Car de même que Zabulon et Nephtali ont vu une grande lumière se lever, la France est promise au même salut.

Dans le projet de Dieu la France n’est pas promise à un grand remplacement, mais à un grand relèvement.

C’est ce que le Seigneur déclara à l’âme privilégiée que fut Marthe Robin. La France tombera bien bas, lui dit-il, mais elle se relèvera plus vite que la balle ne rebondit[6].

Alors, frères et sœurs, élevons nos cœurs et nos âmes car le Seigneur est proche. Faisons notre la finale du psaume du roi David en ces temps troublés : « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage, espère le Seigneur » (Ps 26, 14).

Puisse la Bienheureuse Vierge Marie soutenir du haut du Ciel comme en ses sanctuaires ici-bas, notre espérance et nous redonner courage pour les temps qui viennent, ainsi soit-il.

abbé Benjamin Martin


[1] Cf. St Thomas d’Aquin, Catena Aurea, Sur l’Evangile de Saint Matthieu, trad. Nicolai, Ed. L Vivès, p. 211.

[2] Ibid. p. 212.

[3] L’expression est récurrente dans les Livres des Rois.

[4] Cf. Douce France, Charles-Louis Trenet.

[5] Seule la langue française fait de la ville cosmopolite de Capharnaüm un synonyme de désordre, de bazar.

[6] Propos de Marthe Robin au Père Finet : « La France tombera très bas, plus bas que les autres nations, à cause de son orgueil et des mauvais chefs qu’elle se sera choisie. Elle aura le nez dans la poussière. Il n’y aura plus rien. Mais dans sa détresse, elle se souviendra de Dieu. Alors elle criera vers lui, et c’est la Sainte Vierge qui viendra la sauver. La France retrouvera alors sa vocation de Fille aînée de l’Église, elle sera le lieu de la plus grande effusion de l’Esprit Saint, et elle enverra à nouveau des témoins dans le monde entier ».

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