vox in deserto
Le PERUGIN, La remise des clefs à Saint Pierre, 1482, chapelle Sixtine, Vatican

Du Fils de l’homme au Fils de Dieu

Dimanche 23 août 2020

Évangile selon Saint Matthieu, 16, 13-20 :

Homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

La page d’Evangile que nous venons d’entendre se trouve être au centre de l’Evangile selon Saint Matthieu. La double question que le Seigneur pose à ses Apôtres est la charnière de son Evangile comme de notre vie chrétienne. En effet, c’est chacun d’entre nous, à la suite des Apôtres, que le Seigneur interroge ce matin : « Au dire des gens qui est le Fils de l’homme ? » (Mt 16, 13) Et « pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15). Pour répondre au Seigneur en vérité, approfondissons ses questions comme les réponses des Apôtres. C’est alors que de la foi de Pierre nous verrons naître l’Eglise.

1. Le Fils de l’homme en question

            Au commencement de cet Evangile, Saint Matthieu précise que le Seigneur interroge ses Apôtres « dans la région de Césarée-de-Philippe » (Mt 16, 13). A la suite du Seigneur les Apôtres ont donc quitté la Judée orthodoxe comme la Galilée multiculturelle pour parvenir aux frontières de la Terre Promise, presque en terre païenne. Cet éloignement fait dire à Saint Jean Chrysostome que le Seigneur amène ses Apôtres « loin des Juifs afin que délivrés de toutes craintes, ils disent librement ce qu’ils ont en tête »[1] : « au dire des gens qui est le Fils de l’homme ? » (Mt 16, 13).

La région de Césarée-de-Philippe se situe en haut à droite de cette carte

Avec Saint Jérôme remarquons que le Seigneur ne dit pas : « Que disent-ils que je suis ? Mais qui est le Fils de l’homme »[2]. Dans le grec de l’Evangile[3] cette expression est la traduction littérale de l’araméen qui pour dire homme ou être humain, parle du bar nasha, le fils de l’homme. Originellement cette expression désigne donc tout homme. C’est ainsi que Dieu nomme le prophète Ezéchiel : « Fils d’homme, […] tu écouteras la parole qui sortira de ma bouche et tu les avertiras de ma part » (Ez 3, 17).

A partir des visions du prophète Daniel cette expression se précise. Elle ne désigne plus l’homme dans sa généralité mais un homme en particulier : le Roi Messie.

Au cours des visions de la nuit, je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; […] il lui fut donné domination, gloire et royauté ; […] Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. (Dn 7, 13-14).

A la suite du prophète Daniel, la littérature apocalyptique de l’Ancien Testament[4] désigne communément le Messie par cette expression : le Fils de l’homme. Expression que le Seigneur emploie fréquemment[5] lorsqu’Il parle de son rôle à la fin des temps. Ainsi en sera-t-il, peu après cette page d’Evangile, lorsque le Seigneur déclarera à ses Apôtres : « Le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors Il rendra à chacun selon sa conduite » (Mt 16, 27).

MICHEL ANGE, fresque du Jugement dernier, 1536-41, chapelle Sixtine, Vatican

Chaque fois que le Seigneur use de cet aramaïsme dans les Evangiles, Il parle de lui-même à la troisième personne : « Le Fils de l’homme va venir […] Il rendra à chacun selon sa conduite » (Mt 16, 27). En cela, le Seigneur ne se dérobe pas à sa mission. Il appelle l’acte de foi.

D’ailleurs en interrogeant ses Apôtres dans la région de Césarée de Philippe, le Seigneur entend replacer la figure du Roi Messie dans la perspective eschatologique, celle de la fin des temps. Ainsi, interroge-t-Il ses Apôtres aux frontières de la Terre Promise car cette terre est promise au Royaume des Cieux. Il leur faut donc quitter le messianisme politique d’Israël si réducteur pour envisager l’universalité du salut. Car ce n’est pas seulement la terre d’Israël qui est promise au salut mais le monde entier. Tel est l’enjeu de la double question que le Seigneur pose à ses Apôtres : « Au dire des gens qui est le Fils de l’homme ? » (Mt 16, 13)  Et « pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15).

Hans MEMLING, Triptyque du Jugement dernier, 1467-71, Musée Narodowe, Gdansk, Pologne

2. La profession de foi de Pierre et la naissance de l’Eglise

Si pèles-mêles les Apôtres répondent à la première question – « Pour les uns, [le Fils de l’homme est] Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » (Mt 16, 14)  – seul l’Apôtre Pierre, au nom des Apôtres, répond à la seconde question : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).

A la question du Seigneur : Qui est le Fils de l’homme ? Saint Pierre répond qu’Il est le Fils de Dieu. En cela sa foi dépasse ce qu’il est en mesure de comprendre. C’est pourquoi le Seigneur lui déclare aussitôt : « ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, [Pierre] mais mon Père qui est aux cieux » (Mt 16, 17). En vertu théologale, la foi est un don de Dieu. C’est pourquoi le Seigneur reconnaît sous cette profession de foi de Pierre, l’inspiration de Dieu Son Père.

Avant d’approfondir la perfection de cette réponse, remarquons un parallèle. En levant le voile sur l’identité véritable du Seigneur, Pierre reçoit en retour la révélation sur son identité comme sa vocation : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 17) / « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18a).

Guido RENI, La remise des clefs à Saint Pierre, 1625, musée du Louvre, Paris

L’Eglise, fondée sur l’Apôtre Pierre, naît donc de la perfection de cette profession de foi. Jésus, ce fils d’homme à côté duquel cheminent les Apôtres n’est pas un prophète parmi tant d’autres. En raison des œuvres qu’Il accomplit, il est le Christ comme le reconnaît Saint Pierre. Christ en grec étant la traduction du Messie hébraïque, Pierre répond qu’Il reconnaît en Jésus le Fils de l’homme. Un fils d’homme qui n’est pas seulement fils d’Adam mais plus fondamentalement, le Fils de Dieu. De telle sorte que ce sont les deux natures du Christ – la nature humaine et la nature divine – qui sont affirmées dans ce jeu de questions réponses. Jésus est véritablement Dieu et véritablement homme. C’est sur cette profession de foi que naît l’Eglise apostolique. Une Eglise sur laquelle « la puissance de la Mort ne l’emportera pas » (Mt 16, 18b)  puisque c’est en affirmant que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant que nous ressusciterons au dernier jour.

Jean Baptiste CASTELLO, Le Christ donnant les clefs à Saint Pierre, 1598, musée du Louvre, Paris

Conclusion

Pour approfondir cette page d’Evangile, au terme de notre méditation, ouvrons le Livre de l’Apocalypse à son commencement. En écoutant Saint Jean nous décrire sa première vision sur l’île de Patmos, nous contemplons la gloire du Fils de l’homme se présentant comme le Dieu vivant. La profession de foi de l’Apôtre Pierre y résonne alors d’un écho particulier :

Moi, Jean, votre frère […] je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur […] j’ai vu […] un être qui semblait un Fils d’homme, revêtu d’une longue tunique, une ceinture d’or à hauteur de poitrine […] Son visage brillait comme brille le soleil dans sa puissance.
Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, mais il posa sur moi sa main droite, en disant : « Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, ce qui va ensuite advenir. (Ap 1, 8-19)

Là où l’Apôtre Pierre confessait « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu Vivant » (Mt 16, 16), Saint Jean entend le Fils de l’homme le relever d’entre les morts se présentant comme « le Vivant » (Ap 1, 18). Là où l’Apôtre Pierre reçoit les clefs du Royaume des Cieux (Cf. Mt 16, 19), le Fils de l’homme dans sa gloire apparaît détenant « les clés de la mort et du séjour des morts » (Ap 1, 18). C’est le mystère de l’Eglise qui apparaît comme sacrement du salut. Une Eglise fondée sur les Apôtres en dehors de laquelle il n’est point de salut.

Lorenzo VENEZIANO, Le Christ donnant les Clefs à Saint Pierre, 1380, Musée Correr, Venise

D’où l’importance, frères et sœurs bien-aimés, de la question que nous pose le Seigneur ce matin :

Pour vous, qui suis-je ?

Mt 16, 15

A la suite des Apôtres nous devons tenir ferme notre foi dans un monde qui vit à l’instar du Démon, comme si Dieu n’existait pas. En chrétien, nous nous distinguons de l’esprit de ce monde qui s’il tolère le Christ, le rabaisse à un maître de sagesse parmi tant d’autre. Nous nous distinguons de l’espérance juive en reconnaissant à la suite de l’Apôtre Pierre que Jésus est « le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Nous nous distinguons de l’Islam pour qui Jésus est un prophète en affirmant en chrétien qu’Il est Dieu fait homme, venue dans le monde pour nous sauver. Un salut qui passe par l’Eglise que le Seigneur a institué et dans laquelle, à la suite des Apôtres, nous avons été baptisé.

RAPHAEL, Le Christ donnant les clefs du Paradis à Saint Pierre, 1515-16,
Victoria and Albert Museum, Londres

En ces temps qui sont les derniers[6], tenons ferme dans la foi. En cela nous pourrons répondre à cette autre question que le Seigneur se pose dans l’Evangile : « Le Fils de l’homme, quand Il reviendra trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18, 8). La réponse nous appartient.

Prions en ce Dimanche pour que la vraie foi jamais ne s’éteigne dans l’Eglise. Prions pour que nous puissions chacun vivre et mourir dans cette foi afin d’entendre le Christ nous dire au dernier Jour, comme à saint Jean dans l’Apocalypse : « Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles » (Ap 1, 17-18) ; « entre, bon et fidèle serviteur, dans la joie de ton Maître » (Mt 25, 23). Ainsi soit-il.

abbé Benjamin MARTIN


Ambrogio BONVICINO, Don des clefs à Saint Pierre, marbre,
Loge des bénédictions, Basilique Saint Pierre de Rome

[1] Cf. Saint Thomas d’Aquin, Catena Aurea, sur l’Evangile de Matthieu, trad. Jean Nicolai, 1854, Saint Jean Chrysostome, hom 54,  p.347.

[2] Ibid. op. cit. Saint Jérôme, p. 348

[3] Le grec de l’Evangile écrit uios tou anthrôpou.

[4] Cf. Livre d’Enoch et l’Apocalypse d’Esdras.

[5] On relève dans les Evangiles environ 70 emplois de cette expression par le Seigneur : le Fils de l’homme.

[6] La vie chrétienne est résolument tournée vers le retour du Christ : « Nous attendons votre venue dans la gloire » affirmons-nous dans l’anamnèse de la Messe. Nous vivons donc en ces temps qui sont les derniers (cf. Hb 1, 2).

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