« Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni »

Luc 1, 42
vox in deserto
Jean JOUVENET, La Visitation, 1716, Cathédrale Notre Dame de Paris,

1. Les Visitations                        

2. Une double bénédiction en réparation de la malédiction

Lannemezan, dimanche 6 août 2017

Frères et sœurs bien-aimés,

Rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37). C’est par ces ultimes paroles que l’Archange Gabriel tire sa révérence. Laissant la Bienheureuse Vierge Marie à l’ombre du Puissant, il entend ces quelques paroles qu’elle lui adresse: « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. Alors l’ange la quitta » (Lc 1, 38).

            En reprenant aujourd’hui notre méditation estivale sur l’Ave Maria, nous passons de la salutation de l’Archange Gabriel à celle de Sainte Elisabeth. Lorsque l’ange conclut que « rien n’est impossible à Dieu », il fait référence certes, au mystère enveloppant Celle qui demeure Vierge tout en devenant Mère, et Mère de Dieu. Cependant, il vient également de lui annoncer une autre naissance impossible : « voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, votre parente, a conçu, elle aussi, un fils […] alors qu’on l’appelait la femme stérile » (Lc 1, 36). C’est alors qu’en grande hâte, la Sainte Vierge à l’ombre du Très-Haut, quitte la hauteur angélique pour gagner celle de cette région montagneuse où résident Zacharie et Elisabeth. De sa cousine, elle entend cette double bénédiction qu’à notre tour nous lui adressons en cette prière : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni ». Demandons-lui ses lumières, pour approfondir de ces bénédictions, les grands mystères.

– AVE MARIA –

Jean JOUVENET, La Visitation, 1716, Cathédrale Notre Dame de Paris, détail

1. Les Visitations (Lc 1, 39 – 45)

            Pour approfondir ces paroles, mettons-nous à l’école de Saint Luc qui nous les rapporte dans son Evangile. Lorsque la Sainte Vierge entre dans la maison de Zacharie, elle salue Elisabeth. Cette salutation, nous dit-il, résonne alors au plus profond d’Elisabeth. Ainsi lui confie-t-elle : « lorsque vos paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi ». Et Saint Luc de préciser la conséquence de cette salutation de la Vierge : « Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint ». Quelles sont donc les paroles que lui a adressées la Sainte Vierge pour qu’aussitôt le Saint Esprit lui soit donné, et en plénitude ? Mais si ces paroles ne nous sont pas rapportées, c’est parce que ce n’est pas tant ce qu’elle a dit qui importe, que comment elle a salué Elisabeth. La réponse tient en celle que l’Archange adresse à Marie, face à son incompréhension devant l’Incarnation du Fils de Dieu :

Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ?

L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre »

Lc 1, 35

Ainsi, lorsque Marie salue Elisabeth, elle se tient à l’ombre du Saint Esprit qui alors fond sur sa parente, atteignant le profond de ses entrailles, dans lesquelles, d’allégresse, son enfant trésaille. D’un ventre à l’autre, Saint Jean-Baptiste reçoit la visite du Seigneur Jésus ; Elisabeth celle de « la mère du Seigneur ».

Mais ces deux visitations ne sont rendues possibles que par celle du Saint Esprit qui les suscite et les anime. D’ailleurs, Saint Paul nous précise dans ses enseignements que « personne ne peut reconnaître que « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint. » (1Cor 12, 3). C’est cette profession de foi qui met en mouvement Saint Jean-Baptiste dés le ventre de sa mère. Lui que l’on nommera alors le précurseur, reconnaît déjà Celui dont il doit préparer le chemin. Elisabeth, quant à elle, ne reconnaît pas seulement en Marie sa cousine, mais confesse dans la foi : « Comment ai-je ce bonheur que vienne jusqu’à moi la Mère de mon Seigneur ». L’action du Saint Esprit est également identifiable à cette joie dont Saint Paul atteste qu’elle en est le fruit (Cf. Ga 5, 22) : elle embrase Elisabeth jusqu’à l’enfant qu’elle porte, alors que Marie se met à exulter en Dieu,dont elle chante les merveilles, entonnant le Magnificat (Lc 1, 46-55).

C’est donc « remplie de l’Esprit Saint et avec une voix forte » précise Saint Luc, qu’Elisabeth répond à la salutation de la Mère du Seigneur : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni ». Cette double bénédiction n’est donc pas étrangère au Saint Esprit lui qui a pour mission de nous conduire vers la vérité tout entière. (Cf. Jn 16, 13).

Jean JOUVENET, La Visitation, 1716, Cathédrale Notre Dame de Paris, détail

2. Une double bénédiction en réparation de la malédiction (Gn 3)

Lorsque le Bienheureux Pape Pie IX proclame le dogme de la conception immaculée de la Bienheureuse Vierge Marie, il commente la « salutation singulière et inouïe jusque-là »1 de l’Archange Gabriel. S’il la nomme « Pleine-de-Grâce » c’est parce que l’Ange vénère Celle qui est « le siège de toutes les grâces divines » [1]. De telle sorte, précise le Pape, « qu’elle n’avait jamais été soumise à la malédiction »1. Au contraire, poursuit-il, [1]

elle avait partagé avec son Fils la perpétuelle bénédiction qu’elle avait méritée d’entendre de la bouche d’Elisabeth, inspirée par l’Esprit-Saint : «Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni » (Lc I, 42)

Pie IX, Constitution Apostolique Ineffabilis Deus, 8 décembre 1854, 2e partie, § 4.

Elisabeth bénit la Mère et bénit son enfant ; elle bénit la femme et elle bénit l’homme ; elle bénit la nouvelle Eve et bénit le nouvel Adam. Car, quelle est donc cette malédiction à laquelle échappe cette mère bénie entre toutes les femmes ? Quelle est donc cette malédiction qui n’atteint pas le fruit béni de ses entrailles qui l’en protège ? Si ce n’est cette punition divine, atteignant la descendance d’Eve, conséquence du péché des origines. Placée sous l’autorité du Saint Esprit, la double bénédiction d’Elisabeth nous renvoie donc au commencement.

Franz Anton MAULBERTSCH, La Visitation, 1771-1777, fresque, Cathédrale de Vác, Hongrie

            « Au commencement Dieu créa le Ciel et la terre » (Gn 1,1) ; « il créa l’homme à son image et à sa ressemblance, homme et femme il les créa »(Gn 1,27). Il les plaça dans les limites d’un jardin, leur donna une Loi symbolisée par l’arbre de vie et cet autre arbre, que l’on nommera par la suite, l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Si la Loi divine leur interdit de toucher aux fruits de ces arbres, Dieu ne place pas au centre du jardin la tentation ! Quel serait donc ce Dieu qui aurait plaisir à inciter l’homme à faire le mal ? Non ! La Loi placée au centre du jardin ; la Loi bien visible par la hauteur de ces arbres, est là pour rappeler à Adam et Eve qu’ils ne sont ni les maîtres de la vie qu’ils reçoivent de Dieu, ni les maîtres absolus de la Création. Si Dieu leur accorde la dignité de participer à son gouvernement divin, en  leur confiant le gouvernement du monde, il demeure leur Seigneur.

            Au commencement Adam, qui est placé à la tête du genre humain et Eve qu’il nommera « la Mère des vivants » (Gn 3, 20), connaissent intimement Dieu. Celui-ci descend dans le jardin et se promène, familièrement, avec eux. De telle sorte que nous pourrions saluer nos premiers Parents, à l’instar de l’Archange Gabriel, en leur déclarant, « le Seigneur est avec vous ».

            Mais voilà que le serpent se faufile auprès d’Eve et se met à discuter avec elle. Parce que « le pasteur connaît ses brebis » (Jn 10, 14), je vous entends déjà rétorquer : mais pourquoi donc Dieu leur envoie-t-il ce serpent ? Ou pour les esprits plus terre à terre : pourquoi donc les murs d’enceinte du Créateur n’ont-ils pas empêché l’entrée du serpent ? Cependant, ce ne sont pas de bonnes questions. Derrière elles, que ce soit au sujet des arbres figurant la Loi ou au sujet de la présence du serpent figurant le Diable, nous cherchons à nous disculper du péché et à mettre cette responsabilité sur le compte de Dieu ! En cela nous nous cachons avec Adam et Eve dans ce buisson, et ne faisons pas plus face à notre péché qu’à la présence de Dieu.

Vecellio TIZIANO, Adam et Eve, v 1550, musée du Prado, Madrid, Espagne

            Si Dieu permet au Diable d’approcher Eve, c’est parce qu’il sait qu’elle est capable de ne pas se laisser tromper et séduire. Il sait, comme en témoigne l’Apôtre Pierre dans son Epître, que cette épreuve vérifiera la qualité de sa foi (Cf. 1P16-7). Elle en sortira grandie. D’ailleurs, ceux qui sont parents parmi nous, savent bien que l’on élève les enfants, en leur apprenant à éviter le danger certes ; mais tout autant en leur apprenant à l’affronter. En cela, comme Dieu, vous interdisez, vous préconisez la prudence mais plus fondamentalement, vous connaissez vos enfants, leurs qualités comme leurs défauts. Dieu, dont nous sommes les enfants, s’il connaît nos péchés, connaît également notre résistance au mal, de telle sorte qu’il ne permettrait pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces. Nous l’aurions vérifié avec Eve. Mais, sans grande résistance, elle se laisse aller au péché.

            Le serpent siffle à ses oreilles un discours qui se joue de la vérité, pour mieux y enrober son mensonge. Il engage la conversation sur un constat approximatif : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? » (Gn 3, 1). Mais Eve qui connaît la Loi, corrige aussitôt :

Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” (Gn 3, 2-3)

Lucas CRANACH l’Ancien, Adam et Eve, 1526, Courtauld Gallery, Londres, UK

Eve a mordu à l’hameçon : elle entre en discussion avec le Démon. Celui-ci lui rétorque :

Pas du tout ! (1) Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et (2) vous serez comme des dieux, (3) connaissant le bien (4) et le mal. 

(Gn 3, 4-5)

Le démon est malin, c’est son surnom. Il se joue de trois vérités pour parvenir à ses fins : entraîner par Adam et Eve, les hommes dans sa chute.

            (1) Pour l’heure – c’est-à-dire dans l’état d’innocence dans lequel nous avons été créés – Adam et Eve ne sont pas mortels. C’est donc le premier tour de force opéré par le Démon que de faire craindre à Eve une mort qui ne sera que la conséquence de sa désobéissance.

            (2) Deuxième tour de force : le démon fait avaler à Eve qu’en mangeant ce fruit, ils seront alors comme des dieux. Mais Adam et Eve sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est donc déjà le cas.

            (3) Alors son étau se resserre – troisième tour de force –  vous connaîtrez le bien.  Mais dans l’état d’innocence Adam et Eve ne connaissent et ne pratiquent que le bien.

            (4) Alors le venin de l’argumentaire parvient à sa cible. Le démon vante auprès d’Eve les saveurs d’une nouvelle connaissance : le mal. Voilà comment, celui que le Seigneur dans l’Evangile nomme le « père du mensonge » (Jn 8, 44) se joue de la vérité. Eve ne voit plus alors en cet arbre, le symbole de la Loi divine. Ses yeux s’ouvrent et le découvrent sous l’angle de la tentation, alors que son cœur se ferme et se renferme à la seigneurie de ce Dieu qu’elle connaît bien davantage que ce serpent venimeux, à la langue si habile. En désobéissant, elle devient pour Adam ce serpent qui lui donne à goûter ce fruit défendu. Ainsi, le péché et le mal entrent dans le monde et se transmettent-ils de génération en génération. En bon pédagogue, Dieu va alors punir Adam et Eve et les chasser du Paradis.

Sanzio RAPHAEL, Adam et Eve, 1509-1511, fresque, salle de la signature, Palais Apostolique, Vatican

            Mais en punissant le serpent, Dieu déclare : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance ». Mais cette malédiction n’est pas définitive : « celle-ci te meurtrira la tête » (Gn 3, 15) annonce-t-il. Cette promesse de la victoire du bien sur le mal, de Dieu sur le Démon est, ce que l’Eglise appelle, le Proto-Evangile. Celle qui est bénie entre toutes les femmes pour mettre à mal, le mal, n’est autre que la Sainte Vierge. Si le fruit de ses entrailles est béni, c’est parce qu’elle met au monde le Sauveur. A la désobéissance d’Eve et à son fruit défendu, correspond alors l’obéissance parfaite de la Nouvelle Eve dont le fruit est rendu. Il sera suspendu à l’Arbre de la Croix pour nous sauver du péché et nous délivrer du mal. Combien avons-nous raison de bénir entre toutes les femmes, et la mère, et le fruit de ses entrailles, à la suite de Sainte Elisabeth et sous la conduite du Saint Esprit. Invoquons du haut du Ciel cette Mère incomparable qui nous a valu un tel Rédempteur :

Notre Dame de la Visitation, priez pour nous.

Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous.

Sainte Elisabeth, priez pour nous.

Amen

abbé Benjamin MARTIN

Domenico GHIRLANDAIO, La Visitation, 1486-1490, chapelle Tornabuoni, Santa Maria Novella, Florence, Italie

[1] Pie IX, Constitution Apostolique Ineffabilis Deus, 8 décembre 1854, 2e partie, § 4.

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