Du double commandement de l’amour

Dimanche 25 octobre 2020


Evangile selon Saint Matthieu 22, 34-44 :

Ecouter l’homélie :


Frères et sœurs bien-aimés,

Nous retrouvons en ce dimanche le Seigneur enseignant au Temple de Jérusalem quelques jours avant Sa Passion. Après nous avoir restitué les paraboles que le Seigneur destinait aux Grands-Prêtres et aux Anciens du peuple, Saint Matthieu nous rapporte à présent les discussions surgissant en marge de Ses enseignements. Ainsi entendions-nous dimanche dernier le piège que les pharisiens, accompagnés des partisans du roi Hérode, tendaient au Seigneur : « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? » (Mt 22, 17). Prenant alors une pièce sur laquelle la figure de l’empereur était gravée Il leur répondit : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21).

Philippe de CHAMPAIGNE, Le denier de César, 1655, musée des Beaux Arts de Montréal, Canada

1. Le contexte du double commandement de l’amour

Dans l’Evangile que nous venons d’entendre nous retrouvons ces mêmes pharisiens tendant un nouveau piège au Seigneur sur un sujet tout aussi controversé : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » (Mt 22, 36). Si les pharisiens reviennent à la charge c’est, nous précise Saint Matthieu, parce qu’on vient de leur rapporter que le Seigneur vient de « fermer la bouche aux saducéens » (Mt 22, 34). En effet, entre l’Evangile de dimanche dernier et celui que nous venons d’entendre, prend place l’échange opposant les saducéens au Seigneur (Cf. Mt 22, 23-33).

Avec les esséniens, les zélotes et les pharisiens, les saducéens sont l’un des quatre grands courants du judaïsme à l’époque du Seigneur. Pour comprendre l’opposition entre saducéens et pharisiens écoutons Flavius Joseph – le grand historien de l’antiquité juive – nous y introduire :

Les pharisiens ont transmis au peuple certaines règles qu'ils tenaient de leurs pères, qui ne sont pas écrites dans les lois de Moïse, et qui pour cette raison ont été rejetées par les sadducéens qui considèrent que seules devraient être tenues pour valables les règles qui y sont écrites et que celles qui sont reçues par la tradition des pères n'ont pas à être observées.[1]
Philippe de CHAMPAIGNE, Moïse présentant les tables de la Lo, 1663, musée de Picardie, Amiens

Voilà pourquoi, apprenant que le Seigneur vient de contrecarrer les saducéens, les pharisiens reviennent à la charge. En affirmant avec les pharisiens et contre les Saducéens la résurrection des morts, quelle est la position de ce Jésus au sujet de la Loi ? Accepte-t-Il l’enseignement hérité de la tradition des pères ou bien la refuse-t-Il avec les saducéens ? Nous comprenons alors en quoi la question posée par ce docteur de la Loi est un nouveau piège tendu au Seigneur : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » (Mt 22, 36). A cette question le Seigneur ne se dérobe pas, Il affirme que toute la Loi et les prophètes dépendent du double commandement de l’amour de Dieu et du prochain (Cf. Mt 22, 40). En s’enracinant dans la plus grande tradition juive[2], le Seigneur déjoue le piège que ce docteur de la Loi, au nom du courant pharisien, lui tendait. De telle sorte qu’après avoir « fermé la bouche » aux saducéens au sujet de la résurrection des morts, le Seigneur cloue ici le bec aux pharisiens au sujet de la Loi[3].

***

 « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ».Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Mt 22, 37-39

2. L’amour de Dieu

La réponse du Seigneur est aussi précise qu’ordonnée. Le premier commandement nous exhorte à l’amour de Dieu. Si l’amour de Dieu est premier c’est parce que le premier, Dieu nous aima. Les Saintes Ecritures, sous la conduite du Saint Esprit, l’attestent :

Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour je t’ai consacré. (Jr 1, 5)

Quel réconfort pour chacun d’entre nous que de se savoir aimé de toute éternité. Quel réconfort pour les parents de savoir que l’enfant qu’ils attendaient et qui n’est pas parvenu à terme est également aimé de toute éternité par Dieu et donc promis à la vie éternelle. Quel réconfort pour les enfants abandonnés que de se savoir malgré tout aimés de toute éternité. Quel réconfort pour le pécheur qui s’est éloigné gravement de Dieu et de sa Loi que de se savoir aimé d’un amour qui, s’il honore toujours la justice, s’ouvre au pardon et à la miséricorde. Quel réconfort que de savoir que tous nos fidèles défunts sont aimés de toute éternité par ce Dieu « lent à la colère et plein d’amour » (Ps 145, 8).

Pompeo BATONI, Le retour du fils prodigue, 1773, musée d’Histoire de l’art de Vienne, Autriche

Comment alors ne pas rendre grâce en ce dimanche, frères et sœurs bien-aimés, pour cet amour de Dieu qui nous a saisi. Ecoutons le Seigneur raviver dans l’intimité de nos âmes cette déclaration d’amour que nous rapporte le prophète Isaïe :

Je suis le Seigneur ton Dieu, le Saint d’Israël, ton Sauveur […] tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime. […] Ne crains pas, car je suis avec toi. (Is 43, 3-5)

3. L’amour du prochain

A ce premier et grand commandement nous exhortant à répondre à l’amour de Dieu par l’amour aussi sincère qu’inconditionnel de nos âmes, le Seigneur lui adjoint un second commandement. Attention, si ce commandement est second, il n’est en aucun cas secondaire. Le Seigneur précise qu’il lui est semblable : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

La finale de ce commandement peut nous étonner. Or pour être capable d’aimer le prochain comme pour répondre à l’amour de Dieu, il faut au préalable s’aimer soi-même dans une juste mesure. En effet, celui qui s’aime trop – l’égocentrique ou le narcissique – est pour son entourage aussi infect qu’insupportable. A l’opposé, celui qui est pris d’un tel dégoût de soi, d’un tel mal-être est aussi irascible que révolté. Entre ces deux écueils, se trouve le juste amour de soi nous permettant de répondre à l’amour de Dieu et de répandre cet amour à l’endroit du prochain.

REMBRANDT, Le bon samaritain, 1632-33, Wallace collection, Londres

Si le Seigneur commence par l’amour de Dieu avant d’en venir à l’amour du prochain c’est que plus nous aimerons le Dieu d’amour et de vérité, et plus nous aurons la force d’aimer le prochain malgré tout ce qui peut de prime abord nous arrêter : son apparence, son milieu, son caractère, ses défauts, ses incohérences, nos préjugés…

Plus nous aimons Dieu et plus nous sommes à même de Le reconnaître dans le prochain. Plus nous aimons Dieu et plus nous sommes façonnés à aimer le prochain comme Dieu nous aime. C’est d’ailleurs cette perfection de l’amour qui conduira le Seigneur à déclarer à l’heure de Sa Passion non plus « tu aimeras le prochain comme toi-même » (Mt 22, 39) mais « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé » (Jn 13, 34).

crucifixion
Bartolomeo BULGARINI, La crucifixion, v 1350, musée du Louvres, Paris

En offrant Sa vie sur le bois de la croix le Seigneur brûle de l’amour de Dieu comme de l’amour du prochain. Dans Sa Passion et Sa mort sur la croix le Seigneur répond à l’amour de Dieu son Père en s’offrant par amour pour les pécheurs. C’est par cette perfection de l’amour que la mort a été vaincue : le Seigneur est ressuscité, Il est vraiment ressuscité.

***

Prions en ce dimanche, frères et sœurs bien-aimés, afin que le Seigneur augmente en nos âmes Son amour de charité. Que cet amour de Dieu et du prochain qui jadis faisait battre le cœur de notre France la relève d’entre les morts, ainsi soit-il.

abbé Benjamin MARTIN


[1] Flavius Joseph, Antiquités judaïques, XII, 297.

[2][2] Le Seigneur cite ici la prière du Sh’ma Israël que tout juif récite plusieurs fois par jour jusqu’au moment même de son coucher. Cette prière est extraite du long sermon que Moïse adresse aux enfants d’Israël peu avant sa mort.

Dt. 6, 4 – 5 : « Ecoute Israël, l’Eternel est un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton âme et de tout ton esprit ».

Cette prière constitue le fondement de la révélation accordée par Dieu à Moïse.

[3] Notons que Saint Luc dans son Evangile nous rapporte, en suite de ce double commandement de l’amour, la parabole du Bon samaritain (cf. Lc 10, 25-37) qui vient l’illustrer.

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