– Homélie pour le XIXème Dimanche du Temps Ordinaire, année A –

Dimanche 09 août 2020

François BOUCHER, Saint Pierre tentant de marcher sur la mer, 1766,
Cathédrale Saint-Louis de Versailles

De la profession de foi en suite de la Tempête

Évangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu 14, 22-33 :

Ecoutez l’Homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

L’Evangile que nous venons d’entendre (Cf. Mt 14, 22-33) est la suite immédiate de la multiplication des pains que la Liturgie nous faisait entendre dimanche dernier (Cf. Mt 14, 13-21). Souvenez-vous, nous avons laissé une foule rassasiée d’environ « cinq mille hommes sans compter les femmes et les enfants » (Mt 14, 21) alors que les Apôtres ramassaient les pains restants : « douze paniers pleins » (Mt 14, 20) concluait Saint Matthieu. C’est alors, sans transition aucune, que s’ouvre l’Evangile de ce jour :

Aussitôt, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules.

Mt 14, 22

Une telle hâte doit être interrogée : que se passe-t-il donc à la fin de ce repas pour que le Seigneur agisse avec autant d’empressement que d’autorité ? Pourquoi une telle précipitation ? Pourquoi OBLIGER les Apôtres à partir ? Cette dernière question peut être formulée en ces termes : pourquoi les disciples souhaitaient-ils rester ? Car le Seigneur n’engagerait pas ainsi son autorité si les Douze n’avaient manifesté un désir contraire.

            Pour répondre à ces interrogations, parcourons les Evangiles. Si Saint Marc dans le récit de la multiplication des pains nous rapporte le même empressement sans l’expliquer[1], seul Saint Jean dans sa conclusion  (Cf. Jn 6, 1-15) nous permet d’entrapercevoir le nœud du problème : « Jésus, sachant qu’on allait venir l’enlever pour le faire roi, se retira à nouveau, seul dans la montagne » (Jn 6, 15). Voilà ce que Saint Marc et Saint Matthieu passaient sous-silence et qu’il nous faut approfondir afin de bien saisir l’enjeu de l’Evangile de ce jour. Pourquoi veut-on enlever le Seigneur ? Pourquoi l’idée d’en faire un roi échauffe-t-elle les esprits ? Pour répondre à ces questions, il nous faut être attentif au contexte que la multiplication des pains en elle-même tend à occulter.

1. Les ferments sous-jacents à la tempête

C’est en apprenant la mort de Saint Jean-Baptiste que le Seigneur entend se retirer dans un lieu désert (Cf. Mt 14, 13 ; 23) loin des foules qui, depuis son Baptême, se pressent pour l’écouter. Il entend se recueillir non seulement pour accompagner Saint Jean-Baptiste mais également car sa décapitation lui annonce Sa mort prochaine, mort qu’Il ne tardera pas à annoncer à ses Apôtres (Cf. Mt 16, 21). L’heure n’est donc plus à enseigner théoriquement les foules. L’heure est venue de manifester par ses œuvres qu’Il est le Messie désigné par Saint Jean-Baptiste.

vox in deserto
Le CARAVAGE, Salomé avec la tête de Saint Jean Baptiste, 1607, National Gallery, Londres, UK

De telle sorte qu’en débarquant dans ce lieu désert, le Seigneur est rattrapé par « une grande foule de gens ». « Saisi de compassion envers eux », il « guérit leurs malades » jusqu’au « soir venu » (Cf. Mt 14, 13-14) nous précise Saint Matthieu. Si son récit se concentre alors sur la multiplication des pains, n’oublions pas cette profusion de guérisons miraculeuses dont les Apôtres ont été les témoins privilégiés. Depuis son Baptême, le Seigneur a déjà accompli de tels miracles, mais jamais en un si grand nombre. En cela, Il se révèle comme le Messie. Souvenons-nous de ce que le Seigneur rapportait à Saint Jean-Baptiste dans sa captivité (Cf. Mt 11, 2-6) :

Allez dire à Jean ce que vous voyez et entendez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droits, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres.

Mt 11, 4

Voici le Messie qui en thaumaturge divin vient au secours des infirmités de son peuple. Et c’est pour parfaire encore sa mission que le Seigneur se révèle également en Messie provident : en multipliant les pains, Il pourvoit à la faim de son peuple. Autrement dit, il ne reste plus au Seigneur qu’à se révéler en Messie libérateur pour accomplir l’espérance messianique d’Israël.

La multiplication des pains, école italienne du XVIIe siècle, musée de Valence, France

Si le Seigneur accomplira cette libération en offrant sa vie sur le bois de la croix pour le pardon des péchés, la foule a quant à elle une vision plus immédiate. Jésus est l’homme providentiel qui vient libérer Israël de l’occupant romain. N’est-il pas de la descendance du roi David ? N’a-t-il pas été désigné par Jean-Baptiste ? Les prodiges qu’Il accomplit ne parlent-ils pas d’eux-mêmes ? Pourtant quelque chose les retient. Si Jésus parle volontiers du Royaume de Dieu, il ne se présente pas en roi des Juifs. Dans ses enseignements, Il n’appelle pas plus à la révolte qu’Il ne fustige l’envahisseur. C’est pourquoi, précise Saint Jean, on cherche à enlever Jésus pour le faire roi (Cf. Jn 6, 15). Sa notoriété est telle que la résistance entend s’en servir pour la libération politique d’Israël.

            Si le Seigneur oblige les Apôtres à partir immédiatement, c’est qu’un tel projet ne les a pas laissés indifférents. Pensons à la mère des Apôtres Jacques et Jean demandant au Seigneur à ce que ses fils siègent à sa droite et à sa gauche dans son Royaume (Cf. Mt 20, 20-21). Ou encore à Juda qui trahira le Seigneur, au soir de Sa Passion, car Il ne correspond pas au Messie politique qu’il attendait. C’est donc le drame de la Passion qui est ici amorcé. Une Passion qui ne sera pas étrangère à la royauté messianique pour laquelle la foule finira par préférer à Jésus, un terroriste de la résistance juive, Barabbas (cf. Mt 27, 11-26).

            La mise en lumière de ce contexte nous permet de jeter un regard neuf sur la traversée qui attend les Apôtres.

Lorenzo VENEZIANO, Le Christ sauvant Saint Pierre de la noyade, 1370,
Staatliche Museen, Berlin, Allemagne

2. La tempête apaisée

Les voici affrontant des vents contraires au milieu de la nuit. Saint Matthieu se rappelle combien la barque était « battue par les vagues » (Mt 14, 24) alors que la peur de faire naufrage les gagnait. Ce n’est pas la première fois que les Apôtres affrontent ensemble une tempête (Cf. Mt 8, 23-27). Même si la dernière fois Jésus était dans la barque, endormi.

[Les disciples] le réveillèrent en disant : « Seigneur, au secours ! Nous périssons ». Il leur dit : « Pourquoi avez-vous peur, hommes de peu de foi ? ». Alors, debout, il menaça les vents et la mer et il se fit un grand calme.

Mt 8, 25-27

Et Saint Matthieu de conclure par une question qui trouve dans la tempête de ce jour sa réponse : «  Qui est-Il Celui-ci pour que même les vents et la mer lui obéissent ? » (Mt 8, 27).

            En marchant sur les eaux à la rencontre des Apôtres apeurés, le Seigneur les rassure : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur » (Mt 14, 27). « C’est moi » leur dit-il. Mais au plus près du texte le Seigneur déclare : « Confiance, JE SUIS, n’ayez pas peur » (Mt 14, 27). Le Seigneur ne se présente plus sous les traits du Messie, il revendique le nom de Dieu révélé à Moïse : JE SUIS (cf. Ex 3, 14)[2].

Saint Pierre ne s’y trompe pas. Il ne cherche pas à marcher sur les eaux pour marcher sur les eaux. Il s’élance avec toute sa foi à la rencontre de ce Dieu qui vient le sauver. Il marche sur les eaux jusqu’à ce que sa foi cède à la peur et finisse par lui faire perdre pied : « Seigneur, sauvez-moi ! » (Mt 14, 30). « Aussitôt, Jésus tendant la main le saisit » et les voilà dans la barque alors que le vent tombe.

La profession de foi qui conclut l’Evangile est alors significative : « Vraiment, Vous êtes le Fils de Dieu » (Mt 14, 33b). Cet acte de foi est accompagné d’un geste des plus significatifs : les Apôtres se prosternèrent devant Lui (Mt 14, 33a).

Ivan AIVAZOVSKY, Walking on Water, 1890, coll. part.

Conclusion

En se mettant à la suite de Jésus, les Apôtres cheminent à côté d’un homme et finissent par y reconnaître Dieu. Non seulement Il enseigne avec autorité mais ses paroles s’accompagnent de miracles posant la question de son identité. Est-il un prophète ? Est-il le Messie ? Mais ses miracles n’étant pas de ce monde, ils invitent les Apôtres à un acte de foi supplémentaire. « Qui est-Il Celui-Ci pour que même les vents et la mer lui obéissent ? » (Mt 8, 27) s’interrogeaient-ils en suite de la première tempête. Ils répondent à cette question, avec la même unanimité, alors qu’ils viennent d’affronter la seconde : « Vraiment, Vous êtes le Fils de Dieu » (Mt 14, 33b).

Jan van EYCK, retable de l’Agneau mystique, détail du Christ en majesté, 1432,
cathédrale Saint-Bavon de Gand, Belgique

Nous comprenons alors pourquoi le Seigneur oblige ses Apôtres à prendre le large. L’heure n’était pas de céder aux tentations de ce monde. Si le Seigneur est le Messie, Sa royauté n’est pas de ce monde. Voilà ce qu’expérimentent les Apôtres au milieu de la tempête. Jésus n’est pas seulement un homme fut-il le Messie, il est Dieu. En se manifestant en Créateur du ciel et de la terre à qui les éléments obéissent ; en revendiquant le NOM de Dieu révélé à Moïse, le Seigneur prépare ses Apôtres à la question décisive qu’il ne tardera pas à leur poser : « Pour vous qui suis-je ? » (Mt 16, 15). La réponse à cette question est à l’origine de la foi de l’Eglise : « Vous êtes le Messie, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16) répondra l’Apôtre Pierre. A sa suite, frères et sœurs, nous confessons dans la foi que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, la seconde personne de la Sainte Trinité.

Puissent les Saints Apôtres intercéder pour nous qui traversons, dans la barque de Pierre, les tempêtes de ce monde. Que ces tempêtes n’aient pas raison de notre foi car le Seigneur est là à nos côtés. Ainsi soit-il.

abbé Benjamin MARTIN

Jan van EYCK, retable de l’Agneau mystique, 1432,
cathédrale Saint-Bavon de Gand, Belgique

[1] Notons que Saint Marc (Cf. Mc 6, 45-52) rapporte la même précipitation dans l’embarquement apostolique sans en préciser la raison : « Aussitôt, Jésus obligea ses disciples à remonter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive » (v. 45). Précisons que  Saint Luc passe dans son récit de la multiplication des pains (Cf. Lc 9, 10-17) directement à la profession de foi de l’Apôtre Pierre (Cf. Lc, 9, 18-22).

[2] Saint Jérôme commente : « En disant : C’est moi, Il n’ajoute pas qui Il est ; mais comme ils connaissent sa voix, ils peuvent le reconnaître dans la nuit. Ou bien, ils purent reconnaître en Lui celui qu’ils savaient avoir parlé à Moïse en ces termes : « Vous parlerez ainsi aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous » (Ex 3) ».

L’utilisation du Nom divin JE SUIS, particulièrement développé dans l’Evangile selon Saint Jean (4, 26 ; ici 6, 20 ; 8, 24 n ; 8, 28.58 ; 13, 19 ; 18, 5-8), met en lumière la divinité de Jésus.

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