Venez Saint Esprit, venez par Marie

Charles LE BRUN, La Pentecôte, 1665-1668, Séminaire de Saint Sulpice

Homélie pour la Solennité de Pentecôte

Dimanche 31 mai 2020, Lascazères et Maubourguet

Frères et sœurs bien-aimés,

Après bien des semaines de séparation en raison du confinement, nous voici enfin réunis en cette église pour la solennité de Pentecôte. Cinquante jours après ce soir de Pâques, où le Ressuscité apparaissant au Cénacle, souffla l’Esprit Saint aux Apôtres, voici de nouveau ce souffle qui sous la forme d’un « violent coup de vent » (Ac 2, 2) les envoie annoncer la vérité de l’Evangile à toutes les Nations.

Du souffle de vie animant la nouvelle Création libérée du péché (Jn 20, 19-23), à ce coup de vent descendant du ciel d’où le Ressuscité vient de monter (Ac 2, 1-11), voici l’Eglise naissante qui sort du Cénacle où elle était confinée.

Au soir de Pâques, « par peur des Juifs » précise Saint Jean, les Apôtres sont confinés au Cénacle. La peur des représailles – celle-là même qui les fit fuir lors de l’arrestation du Seigneur – les retient captifs. C’est toutes portes closes que le Seigneur Ressuscité leur apparaît en répétant : « la paix soit avec vous » (Jn 20, 19 ; 21). Et pour que cette paix soit effectivement avec eux, il souffle sur eux en déclarant « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22).

Au jour de Pentecôte, c’est par obéissance que les Apôtres sont confinés au Cénacle. En effet, peu avant sa glorieuse Ascension, le Seigneur demanda aux Apôtres de ne pas quitter Jérusalem avant que la promesse de Dieu le Père ne soit exaucée « celle, [leur précise-il] que vous avez entendu de ma bouche : Jean a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours » (Ac, 1, 4). Les voici donc confinés au Cénacle : « tous, unanimes, étaient en prière avec quelques femmes dont Marie la mère de Jésus » (Ac 1, 14) précise Saint Luc. Les voici donc confirmés dans leur mission apostolique et envoyés dans le monde porter l’Evangile aux Nations.

Comme les Apôtres nous étions jusqu’alors confinés dans le Cénacle de nos maisons. La peur de l’épidémie comme l’obéissance à la loi nous y a tenus cloitrés de longues semaines. Au commencement de ce Carême le Seigneur nous renvoyait déjà à l’intimité d’une prière qui devait s’enraciner non pas tant dans nos églises que dans nos maisons : « quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret » (Mt 6, 6). Si comme des malades nous avons gardé la chambre, les maisons chrétiennes sont devenues autant de Cénacles où unis aux Apôtres et à la Sainte Vierge nous avons été, unanimes, dans la prière (Cf. Ac 1, 4). Et c’est providentiellement en ce jour de Pentecôte où l’Eglise sort du Cénacle confortée par l’Esprit Saint que nous sommes renvoyés dans le monde porter haut le témoignage de l’Evangile.

Jean RESTOUT, La Pentecôte, musée du Louvre

Que l’Esprit Saint reçu dans la « chambre haute » du Cénacle (Ac 1, 13) descende sur le cénacle de nos maisons. Que ce qui fut pour l’Eglise au jour de Pentecôte une naissance, soit pour l’Eglise de ces derniers temps une renaissance, peut-être celle de la dernière chance… Que les Apôtres apeurés du soir de Pâques comme les Apôtres obéissants du jour de Pentecôte soient renouvelés dans leur mission évangélique car, plus que jamais, nous avons besoin de pasteurs ! Que chacun d’entre nous, en ce saint jour de Pentecôte, fasse mémoire du Saint Esprit reçu lors de notre baptême et dont la présence a été confirmée en nos âmes. Sous sa conduite, notre vie devient chaque jour davantage une vie spirituelle c’est-à-dire portée par Dieu le Saint Esprit. Combien avons-nous raison de l’invoquer en ce jour avec la Séquence introduisant l’Evangile :

Venez Saint Esprit, envoyez du haut du Ciel, un rayon de votre lumière. Vous qui êtes l’hôte très doux de nos âmes apprenez-nous à prier en venant « au secours de notre faiblesse car nous ne savons pas prier comme il faut » (Rm 8, 26). En cela Vous êtes Saint Esprit le Père des pauvres, de ces pauvres pécheurs que nous sommes car, comme le résume la Séquence : Sans Votre puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti.

C’est pour éviter la perversion du péché gangrénant nos âmes que le souffle de vie du Ressuscité communiqua aux Apôtres la puissance de l’Esprit Saint. Sa puissance remplit en eux une fonction précise : pardonner les péchés. Est-il si étonnant que Celui qui a offert sa vie pour le pardon de nos péchés sur le bois de la Croix, transmette au soir même de sa Résurrection le pouvoir de les pardonner ? Voici que ceux que le Seigneur a choisi sont établis intendants fidèles de la Rédemption et ambassadeurs de la miséricorde divine envoyés à toutes les Nations. Ecoutons l’exhortation qui accompagna le souffle de vie du Ressuscité pour nous en convaincre : « Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus » (Jn 20, 22-23). Dans son commentaire Saint Grégoire le reconnaît sans ambages : les Apôtres ont reçu au soir de Pâques « la magistrature du jugement suprême »[1]. Et nous prêtres, collaborateurs de l’Evêque, nous recevons de sa qualité de successeur des Apôtres ce pouvoir de remettre les péchés ou de les maintenir.

Maintenir les péchés ? Qu’est-ce à dire ? Si le baptisé qui vient se confesser ne manifeste pas plus de repentir pour ses fautes que le moindre désir de se convertir, son péché est maintenu car son impénitence l’empêche de recevoir l’absolution. Cependant, il est de nos jours une façon bien plus répandue de maintenir les péchés dans l’Eglise : les fidèles ne viennent pas ou ne viennent plus se confesser. Je vous exhorte donc en ce jour de Pentecôte à ne pas vous dérober à la miséricorde que Dieu vous offre. Si vous estimez inutile de vous confesser régulièrement vous vous coupez non seulement de la grâce de Dieu mais ce faisant vous mettez en danger l’ensemble de l’Eglise. L’Eglise est sainte si et seulement si elle se laisse sanctifier par Celui que la Séquence invoque comme la lumière bienheureuse qui vient remplir jusqu’à l’intime nos cœurs de fidèles.[2]

Eclairez nos âmes Saint Esprit, illuminez nos consciences, donnez-nous suffisamment d’humilité et de courage pour recourir au pardon de nos péchés pour lesquels Dieu le Père nous a offert son Fils et Dieu le Fils nous a offert sa vie sur le bois de la Croix. Oui, venez Esprit Saint en nos cœurs, venez y laver ce qui est souillé, baignez ce qui en nos âmes est aride, guérissez ce qui est blessé. Assouplissez ce qui en nos comportements est raide ; réchauffez ce qui en nos âmes est froid, rendez droit en nos consciences ce qui est faussé par un monde perverti qui dans sa folie vit à l’instar du Démon comme si Dieu n’existait pas.

Oui, frères et sœurs bien-aimés, en nous confessant non seulement le Dieu trois fois Saint pardonne nos péchés mais il nous accorde également cette grâce de persévérance qui, sous l’action de l’Esprit Saint, achève en nous son œuvre de sanctification. C’est pourquoi avec la Séquence nous supplions Dieu le Saint Esprit : À tous ceux qui ont la foi et qui en Vous se confient donnez vos sept dons sacrés[3]. Donnez mérite et vertu, donnez le salut final, donnez la joie éternelle. Amen.

Juan DE FLANDES, Pentecôte, musée du Prado, Madrid, Espagne

Pour parachever notre méditation, en ce jour de Pentecôte, tournons à présent nos regards vers la Bienheureuse Vierge Marie. Nous la contemplons, au Cénacle, entourée des Apôtres, la mère de l’Eglise[4]. Mais en ce dernier jour du mois de mai, nous l’entrevoyons à l’ombre du Saint Esprit dans le mystère de la Visitation[5]. En effet, en ce dimanche 31 mai la Fête de la Visitation cède la place à la Solennité de Pentecôte. Comment mieux conclure nos retrouvailles en ce dernier jour du Mois de Marie qu’en manifestant le lien étroit unissant la Sainte Vierge au Saint Esprit.

L’école française de spiritualité[6] au XVIIe siècle considérait qu’au jour de Pentecôte l’Esprit Saint était d’abord descendu sur la Sainte Vierge puis était parvenu par Elle aux Apôtres[7]. Si cette école spirituelle accorde une telle primauté à la Sainte Vierge dans le don du Saint Esprit c’est qu’Elle est son épouse fidèle. Ecoutons Saint Louis-Marie Grignon de Montfort nous révéler la mystique de ses épousailles :

Dieu le Saint-Esprit étant stérile en Dieu, c'est-à-dire ne produisant point d'autre personne divine[8], est devenu fécond par Marie qu'il a épousée. C'est avec Elle et en Elle et d'Elle qu'Il a produit son chef-d’œuvre, qui est un Dieu fait homme, et qu'il produit tous les jours jusqu'à la fin du monde les prédestinés et les membres du corps de ce chef adorable[9] : c'est pourquoi plus il trouve Marie, sa chère et indissoluble Épouse, dans une âme, et plus il devient opérant et puissant pour produire Jésus-Christ en cette âme et cette âme en Jésus-Christ.[10] (Traité de la Vraie Dévotion, n° 20)
Jacopo DI CIONE, Pentecôte, 1370-1371, National Gallery, London, UK

Frères et sœurs bien-aimés si avec la Séquence de ce saint jour nous invoquons la puissance du Très-Haut en ces termes : Venez Saint Esprit, la piété mariale qui caractérise la foi en Bigorre nous invite à supplier l’Esprit et l’Epouse ou plutôt l’Esprit par l’Epouse : Venez Saint Esprit, Venez par Marie.

Cette invocation, fidèle à l’école française de spiritualité, se révèle alors proche du dernier souffle avec lequel se referment les Saintes Ecritures. La conclusion du Livre de l’Apocalypse sera également la nôtre. En effet, depuis le jour de Pentecôte, l’Eglise n’attend que le retour du Christ dans la gloire :

« Moi, Jésus, […], je suis le rejeton, le descendant de David, l’étoile resplendissante du matin. »
L’Esprit et l’Épouse disent : « Viens ! » Celui qui entend, qu’il dise : « Viens ! » Celui qui a soif, qu’il vienne. Celui qui le désire, qu’il reçoive l’eau de la vie, gratuitement. […] Et celui qui donne ce témoignage déclare : « Oui, je viens sans tarder. » – Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! (Ap 22, 16 - 21)

abbé Benjamin Martin

Andrea DA FIRENZE, Le miracle de Pentecôte, 1366, fresque, Chapelle des Espagnols, Santa Maria Novella, Florence, Italie

[1] Saint Grégoire, Sur l’Evangile, homélie 20.

[2] Cette union des membres du Corps du Christ que nous formons est l’objet de l’enseignement de Saint Paul dans la seconde lecture de ce jour : Cf. 1 Co 12, 3 – 13)

[3] Les sept dons du Saint Esprit sont la crainte, la force, la piété, la science, la sagesse, le conseil et l’intelligence. Pour approfondir ces dons, lisez les chapitres 12 à 14 de la première Epître de Saint Paul aux Corinthiens. A cela le Catéchisme de l’Eglise Catholique précise aux numéros 1830-31 que « la vie morale des chrétiens est soutenue par les dons du Saint Esprit. Ceux-ci sont des dispositions permanentes qui rendent l’homme docile à suivre les impulsions de l’Esprit Saint […] ils complètent et mènent à leur perfection les vertus de ceux qui les reçoivent. Ils rendent les fidèles dociles à obéir avec promptitude aux inspirations divines ».

[4] Le Pape François a signé en date du 11 février 2018 – 160e anniversaire des Apparitions de Lourdes – l’institution pour l’Eglise de rite romain la mémoire obligatoire de « Marie, Mère de l’Eglise ». Cette mémoire est édictée pour le lundi suivant la Pentecôte.

[5] Pour approfondir le mystère de la Visitation, nous vous invitons à écouter la troisième homélie du cycle commentant l’Ave Maria. http://voxindeserto.fr/commentaire-de-lave-maria/

[6] L’école française de spiritualité est un courant issu de la Réforme catholique du XVIIe siècle. Elle regroupe les oratoriens du Cardinal de Bérulle, Charles Condren, Monsieur Olier et les prêtres de Saint Sulpice, Saint Vincent de Paul et les prêtres Lazaristes, Saint Jean Eudes, Saint Louis-Marie Grignon de Montfort et parfois même Bossuet.

[7] Cela est manifeste dans le tableau de Pentecôte que Monsieur Olier commanda à Charles le Brun pour le Séminaire de Saint Sulpice. La Sainte Vierge y a une place prépondérante et plus qu’une langue de feu, c’est un vivier lumineux qui par la Sainte Vierge communique le souffle du Saint Esprit autant que ces langues de feu sur les Apôtres. Il s’agit de l’illustration jointe à cette Homélie.

[8] Pour éclaircir cette « stérilité du Saint Esprit » reprenons les termes familiers du Credo. Nous y affirmons premièrement que Dieu le Père a engendré Dieu le Fils. Puis, concernant la génération du Saint Esprit nous affirmons qu’Il procède et du Père et du Fils. Ainsi donc si le Père a engendré le Fils, et si conjointement l’Esprit Saint procède du Père et du Fils, il n’est quant à Lui à l’origine d’aucune autre personne divine. C’est de cette « stérilité » que veut parler ici Saint Louis Marie. Stérilité qu’il ne faut donc envisager que concernant la génération des trois personnes divines.

[9] Ici Saint Louis-Marie évoque la mission de l’Esprit Saint. Il est Celui par qui se réalise le dessein de Dieu : faire de nous des fils. En cela le Saint Esprit est l’Esprit d’adoption. Pour le dire d’un trait : nous avons à devenir par la grâce ce que le Verbe est par nature : fils du Père. Nous le sommes par le Fils et dans l’Esprit Saint. Saint Paul développe ce thème dans l’Epître aux Romains (Rm 8, 22-27) que la Liturgie de Pentecôte nous donne à entendre lors de la seconde Epître de la Messe de la vigile de Pentecôte.

[10] Saint Louis-Marie Grignon de Monfort, Traité de la vraie dévotion, n° 20.

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