Homélie pour le IIème Dimanche de Carême, année A

Dimanche 8 mars 2020

Frères et sœurs bien-aimés,

En nous mettant à la suite du Seigneur, en ce second dimanche de carême, nous quittons le désert pour cette haute montagne, où le Seigneur convie ses trois plus proches disciples. Pour nous approcher du mystère de la Transfiguration du Seigneur, il nous faut revenir six jours[1] avant cette ascension, afin d’en mesurer les attentes et d’en saisir les enjeux.

Paul RUBENS, La Transfiguration, 1605, musée des beaux arts de Nancy

1. Attentes et enjeux de la Transfiguration

            Voilà six jours que le Seigneur, parvenu dans la région de Césarée-de-Philippe, vient de demander aux disciples :

« Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Mt 16, 13b-16

Simon-Pierre confesse tout d’abord que Jésus est le Christ c’est-à-dire le Messie attendu, mais sa profession de foi dépasse celle d’Israël. Il reconnaît que Jésus n’est pas seulement un homme – fut-il le Messie – mais également le Fils du Dieu vivant[2]. Devant la réponse de Simon levant le voile sur son identité véritable, le Seigneur lui révèle, en retour, le mystère de son être comme de sa vocation :

« Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise »

Mt 16, 18

De telle sorte que la première raison à la Transfiguration du Seigneur est de manifester la gloire de sa divinité. En cela, le Seigneur entend appuyer la profession de foi de l’Apôtre Pierre sur laquelle l’Eglise est bâtie.

Girolamo GENGA, La Transfiguration, v 1510-1515, Museo dell’Opera Metropolitana, Siena, Italie

            Le Seigneur poursuit son enseignement et annonce que Lui, le Fils du Dieu vivant, allait devoir « partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup […] être tué, et le troisième jour ressusciter » (Mt 16, 21). Devant l’horreur d’un telle annonce, Pierre prend le Seigneur à part et lui fait de vifs reproches ; mais rien n’y fait : « tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais des hommes » (Mt 16, 23) lui rétorque-t-il. Le chemin de la Rédemption est donc tout tracé. Lui, le Dieu d’amour et de vérité, entend bien être « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » en s’offrant sur le bois de la Croix. Cette croix le Seigneur l’annonce en exhortant ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24). C’est donc pour atténuer l’ébranlement des disciples face à sa mort prochaine, que le Seigneur entend manifester un quelque chose de sa résurrection. C’est la deuxième raison de cette Transfiguration : manifester qu’Il est « la résurrection et la vie » (Jn 11, 25).

RAPAHEL, La Transfiguration, 1518-1520, musées du Vatican

Mais le Seigneur poursuit ses annonces. Suite à sa résurrection, « il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts » comme nous l’affirmons dans le credo. En effet, déclare-t-il : « le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite » (Mt 16, 27). C’est la troisième raison à la Transfiguration du Seigneur : manifester la gloire qui accompagnera son retour pour le Jugement dernier.

C’est alors que le Seigneur conclut : « parmi ceux qui sont ici, certains ne connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venir dans son Règne » (Mt 16, 28). Mais le Seigneur se serait-il trompé ? En effet, il y a bien longtemps que les Apôtres sont morts et enterrés alors que nous attendons encore, en ces temps qui sont les derniers, que le Seigneur revienne dans la gloire. Non, le Seigneur ne s’est pas trompé. Cette prophétie s’accomplit lors de sa Transfiguration. Elle ne concerne pas tous les disciples mais trois d’entre eux. Choisis entre tous, ils vont être les témoins privilégiés de sa gloire[3].

2. La Transfiguration du Seigneur

Demeurons aux côtés des Saints Pierre, Jacques et Jean et suivons le Seigneur jusqu’à parvenir au sommet de cette montagne avoisinant les cieux. Voici que le Seigneur « fut transfiguré devant eux ». Et Saint Matthieu de nous rapporter le détail de cette métamorphose[4] : « son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la neige » (Mt 17, 2). Voici Moïse et Elie apparaissant à ses côtés.

Marco BENEFIAL, La Transfiguration, 1730, Saint André, Vetralla, Italie

Moïse vient attester la gloire embrasant le visage du Seigneur transfiguré. Souvenons-nous que Moïse, en son temps, eut lui aussi le visage resplendissant de la gloire de Dieu, que ce soit en haut du Mont Sinaï (Ex 34, 29-33) ou dans l’intimité de la tente de la rencontre, enflammée de la présence de Dieu (Ex 33, 7-23). Mais son visage lumineux, comme celui de Bernadette à la Grotte, n’était que le reflet de la gloire de l’autre monde. C’est pourquoi, cachés derrière les Apôtres, nous contemplons dans le Transfiguré non pas un reflet divin mais la source de la divinité : « son visage fut comme le soleil » (Mt 17, 2) duquel nous recevons la lumière. Moïse atteste, par sa présence, que le Seigneur transfiguré est la « Lumière de la Lumière » comme nous l’affirmons dans le credo.

De l’autre côté du Seigneur, se tient Elie le grand prophète. Sa présence vient attester combien la gloire dont est revêtu Dieu le Fils, provient du plus haut des cieux. Ainsi peut-il attester que ces « vêtements [sont] blancs comme la neige » (Mt 17, 2), lui dont le manteau tomba de ce char de feu l’emportant, au terme de sa vie terrestre, jusqu’à la gloire du ciel (2 R 2, 1-25).

Sandro BOTTICELLI, La transfiguration, Saint Jérôme et Saint Augustin, v 1500, Galleria Pallavicini, Rome, Italie

C’est alors que Saint Jérôme, scrutant les Ecritures, nous dévoile le mouvement dans lequel apparaissent Moïse et Elie autour du Seigneur[5] : Elie descend du ciel d’où il était monté dans ce char de feu ; Moïse monte des profondeurs de la terre dans lesquelles il était enterré (cf. Dt 34, 1-12). Avec Moïse et Elie c’est donc la terre et le ciel, les morts et les vivants, les enfers[6] et le Paradis qui témoignent de leur espérance : Lui, le Fils de Dieu transfiguré est la Résurrection et « la vie du monde à venir »[7].

Devant un tel mystère, Saint Pierre qui a reçu la mission de bâtir l’Eglise, se propose du moins de dresser ici trois tentes, afin d’honorer une telle gloire. Mais cette demande aussitôt formulée, voici que des cieux la nuée du Saint Esprit[8] vient s’étendre en nouvelle tente de la rencontre[9]. Baldaquin lumineux, la nuée vient auréoler de gloire le Seigneur transfiguré ; elle se déploie abritant Moïse et Elie et finit par accueillir les Apôtres eux-mêmes[10].

C’est dans le Saint Esprit qui les a saisis dans sa nuée, que les Apôtres entrevoient la gloire dont Dieu le Fils sera revêtu, alors qu’il siègera à la droite de Dieu le Père, en suite de son Ascension. Et c’est dans l’éclat d’un tel règne, que le Seigneur apparaîtra au dernier jour alors que les trompettes de Jéricho sonneront l’heure du jugement dernier. C’est dans cette perspective que la voix de Dieu le Père nous exhorte : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé […] écoutez-le » (Mt 17, 5b).

Gérard DAVID, La Transfiguration, 1520, O.L. Vrouwekerk, Bruges

Conclusion

A cette voix, abasourdis par une gloire qui n’est pas de ce monde, les Apôtres tombent la face contre terre. C’est que « la fragilité humaine ne supporte pas la vue d’une gloire qui la dépasse »[11] conclut Saint Jérôme. C’est avec une sollicitude toute particulière que le Seigneur s’approche des Apôtres pour les relever et les délivrer de toute crainte. Alors, conclut Saint Matthieu, « levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul » (Mt 17, 8).

Pour redescendre de cette montagne, au terme de notre méditation, mettons-nous à l’école de Saint Thomas d’Aquin. Lorsque dans sa Somme de Théologie il rend compte du mystère de la Transfiguration du Seigneur, il interroge le caractère miraculeux d’une telle manifestation de gloire[12]. Où se trouve le miracle ? Est-il à chercher dans le visage resplendissant du Seigneur ? Dans ses vêtements immaculés ? Dans le retour d’Elie ? Dans la résurrection de Moïse peut-être ? Ou encore, dans la manifestation de la Sainte Trinité ? Non répond-il. Le miracle n’est pas dans la Transfiguration du Seigneur.

Fra ANGELICO, La Transfiguration, 1440-1442, Couvent San Marco, Florence, Italie

Au contraire, le miracle réside dans le fait que la gloire de la divinité du Seigneur, telle qu’il la manifeste dans sa Transfiguration, est tenue cachée dans son humanité. Le miracle est donc là, dans la finale de l’Evangile : les Apôtres ne virent plus que Jésus seul. L’humanité du Seigneur contient miraculeusement la gloire infinie de sa divinité.

Une gloire dont la contemplation bienheureuse nous est promise en Paradis. En effet, lorsque nous aurons, comme les Apôtres, la face contre terre dans le tombeau, le Seigneur Ressuscité se penchera pour nous relever d’entre les morts. Ecoutons Saint Paul nous le révéler : « le Seigneur transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire » (Ph 3, 24). Alors, frères et sœurs bien-aimés, nos yeux verront et contempleront sans fin la gloire de Dieu, ainsi soit-il.

abbé Benjamin Martin


[1] L’Evangile de ce jour commence en effet par cette transition « six jours plus tard » (Mt 17, 1). Nous sommes donc renvoyés à Mt 16, 13-28.

[2] N’a-t-il pas entendu la voix de Dieu le Père le déclarer au jour de Son Baptême ? N’a-t-il pas été témoin de ses miracles visant à le suggérer ? N’a-t-il pas entendu ses enseignements visant à le manifester ?

[3] Saint Thomas d’Aquin, à l’école de Saint Jean Chrysostome, justifie l’élection de Pierre, Jean et Jacques en ces termes : « [Le Seigneur] prit les trois disciples les plus importants car Pierre fut éminent par l’amour qu’il portait au Christ et aussi à cause du pouvoir qui lui fut confié ; Jean par le privilège de l’amour dont le Christ l’aimait à cause de sa virginité et aussi à cause de la supériorité doctrinale de son évangile ; Jacques à cause de la supériorité que lui confèrerait son martyre ».

Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III pars, Q. 45, art. 3, sol. 4, Cerf, Paris, 2000, p. 332.

[4] Le grec de l’Evangile porte metamorphosis ; Transfiguration vient du latin trans (au-delà) et de figura (figure).

[5] Saint Jérôme commente : « Ici il fait éclater un signe […] pour augmenter la foi des Apôtres, et il fait descendre Elie de là où il était monté, et ressusciter Moïse des enfers ». In Saint Thomas d’Aquin, Catena Aurea, Sur l’Evangile de Saint Matthieu, trad. Nicolai, Ed. L Vivès, Paris, 1854, p. 379.

[6] Attention à ne pas confondre l’enfer du démon avec les enfers, ce lieu spirituel où l’âme des Justes est en attente de la Rédemption. C’est la raison de la descente aux enfers du Seigneur en suite de sa mort. Il va chercher les âmes des Justes pour les faire entrer en vie éternelle.

[7] Saint Jean Chrysostome le confirme : « C’est pour apprendre [aux Apôtres] que [Lui, le Seigneur] est le maître de la vie et de la mort […] qu’il se montre [transfiguré] au-dessus de Moïse qui succomba à la mort et d’Elie qui n’en a pas encore été atteint ». Cité in Catena Aurea, op. cit. p. 377.        

[8] La nuée représente Dieu le Saint Esprit. Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III pars, Q. 45, art. 4, sol. 2, Cerf, Paris, 2000, p. 332.

[9] La liturgie orthodoxe chante dans le Lucernaire des Vigiles de la Transfiguration : « La montagne fut l’image du Ciel, la nuée se déploya comme une tente, tandis que tu étais transfiguré […] La nuée les enveloppa comme une tente et la voix du Père lui rendit témoignage ». Si nous précisons cela c’est que la tradition latine, en s’attachant à montrer que la demande de Pierre était une tentation (celle de quitter le monde et sa mission pour rester ici à contempler la gloire de Dieu), ne voit pas que la nuée enveloppant ce mystère peut être considérée comme la réponse divine à sa demande maladroite.

[10] Le mouvement progressif de la nuée est décrit dans la Transfiguration telle que la rapporte Saint Luc dans son Evangile : Lc 9, 28 – 36. Ce mouvement est sous-entendu chez Saint Matthieu.

[11] Saint Jérôme in Catena Aurea, op. cit. p. 384.

[12] Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III pars, Q. 45, art. 2.

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