De la correction fraternelle

Dimanche 6 septembre 2020


Evangile selon Saint Matthieu 18, 15-20 :

Ecouter l’homélie :


Frères et sœurs bien-aimés,

Dans l’Evangile que nous venons d’entendre, le Seigneur développe une thématique sur laquelle Il revient régulièrement dans Ses enseignements : le pardon des péchés. Déjà dans le sermon sur la montagne s’ouvrant avec les béatitudes Il déclarait à ce sujet : « heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7). Plus loin dans ce même sermon, nous transmettant les mots de Sa prière, Il déposait sur nos lèvres cette demande : « Notre Père qui êtes aux Cieux […] pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés »[1]. Et, approfondissant cette réciprocité du pardon, Il poursuivait :

Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes. (Mt 6, 14-15).
Cosime ROSSELLI, Le sermon sur la montagne, 1481-82,
fresque de la chapelle Sixtine, Vatican

L’enseignement de l’Evangile de ce jour vient alors approfondir ce que le Seigneur attend de nous lorsque nous avons pardonné à celui qui nous a offensés. En effet, à bien lire cette page d’Evangile, l’enseignement du Seigneur ne porte pas tant sur le pardon des péchés qu’Il présuppose, que sur ce qu’Il attend des disciples en suite de ce pardon accordé.

Remarquons également que le Seigneur précise Son enseignement. Il ne vise pas tout homme dans sa généralité mais il concerne le frère d’une même communauté, l’Eglise. Une Eglise que le Seigneur a fondée sur la foi de l’Apôtre Pierre : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 17) / « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18a). De telle sorte que Son enseignement répond ici à une problématique concernant l’ensemble de l’Eglise :

Que faire lorsqu’un frère a péché contre nous ? Lui pardonner certes mais encore ?

Ecoutons alors le Seigneur nous indiquer la marche à suivre. « Si ton frère a commis un péché contre toi » (Mt 18, 15a) :

Premièrement, « va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute tu as gagné ton frère »  (Mt 18, 15b).

Deuxièmement : « S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée » (Mt 18, 16).

Troisièmement : « S’il refuse de les écouter dis-le à l’assemblée de l’Eglise » (Mt 18, 17a).

Quatrièmement : « S’il refuse encore d’écouter l’Eglise considère-le, [non plus comme un frère] mais comme un païen » (Mt 18, 17b).

Nous passons de la rencontre seul à seul jusqu’à l’assemblée de l’Eglise en passant par la médiation de quelques frères. Mais

pourquoi chercher à gagner celui qui nous a offensés ?

N’est-ce pas plutôt lui qui devrait venir faire amende honorable ? De même, pourquoi cela concerne-t-il nos frères jusqu’à préoccuper l’assemblée même de l’Eglise ? N’est-ce pas contre nous et nous seul qu’il a péché ? Pour répondre à ces questions et cerner l’enjeu de l’enseignement du Seigneur, mettons-nous à l’école des Pères de l’Eglise.

***

Si votre frère a péché contre vous, [commente Saint Jérôme] et vous a offensé de quelque manière que ce soit, non seulement vous avez le pouvoir, mais vous êtes dans l’obligation de lui pardonner ; car il nous est commandé de remettre leurs dettes à ceux qui nous doivent.[2]  
Le CARRAVAGE, Saint Jérôme, 1605, Gallerie Borghese, Rome

Saint Jérôme précise, vous l’avez entendu, que nous avons chacun le pouvoir de pardonner les péchés. Non pas sacramentellement comme dans le cas de la confession. Mais pour les péchés que les autres nous ont fait, il est en notre pouvoir de les pardonner sur cette déclaration du Seigneur : « Amen je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel » (Mt 18,18).

Si l’enseignement du Seigneur suppose que nous avons accompli notre devoir en pardonnant l’offense que notre frère nous a faite, Il attend que nous allions à sa rencontre pour le corriger. Tel est l’enjeu de l’enseignement du Seigneur : nous exhorter à la correction fraternelle. Ecoutons Saint Augustin nous le révéler :

Lorsqu’un de nos frères pèche contre nous, montrons-nous empressés, non pas de défendre nos droits […] mais d’oublier l’injure qui nous est faite, sans oublier la blessure qu’elle a faite à notre frère.[3]
Philippe de CHAMPAIGNE, Saint Augustin, 1645-1650, musée du comté de Los Angeles, USA

Si en commettant ce péché notre frère nous a blessé, le Seigneur nous invite à ne pas perdre de vue que, ce faisant, le pécheur s’est lui-même infligé une blessure. En effet, comme nous l’enseigne Saint Paul « le salaire du péché est la mort » (Rm 6, 23) de telle sorte qu’en péchant à notre endroit notre frère s’est blessé mortellement. C’est pourquoi, il nous faut le soigner en le corrigeant avec bienveillance afin de le rendre, par exemple, plus vigilant à l’avenir. Ce devoir de vérité appelle la charité puisqu’il ne s’agit pas d’humilier notre frère mais de le reprendre et en cela de le gagner au Christ. Ce devoir de vérité est tel qu’il fait dire à Saint Augustin que si nous nous y dérobons – par lâcheté ou confort – nous péchons gravement par omission. Ecoutons-le commentant cet Evangile à ses fidèles d’Hippone :

Notre Seigneur nous recommande de ne pas rester indifférents aux péchés les uns des autres, en cherchant […] à corriger ; car c’est l’amour qui doit inspirer la correction, et non pas le désir de faire de la peine, mais bien celui de corriger.
Mais si vous négligez ce devoir, vous devenez plus coupable [que celui qui avait besoin de correction] ; il vous avait offensé, et il s’était par là même profondément blessé ; mais vous méprisez cette blessure de votre frère, et vous êtes plus coupable par votre silence qu’il ne l’est par l’outrage qu’il vous a fait.[4]

Saint Jean-Chrysostome dans son commentaire nous permet alors de comprendre la raison pour laquelle cette correction fraternelle est si importante. Ecoutons-le :

C’est à celui qui a reçu l’injure […] que Notre Seigneur impose le devoir de la correction, car celui qui a commis l’offense est disposé à recevoir plus facilement de sa part la réprimande, surtout lorsqu’elle se fait sans témoin ; et rien n’est plus propre à l’apaiser que de voir celui qui avait le droit d’exiger une réparation sévère, montrer tant de zèle pour son salut.[5]
Joseph WENCKER, Saint Jean Chrysostome préchant devant l’Impératrice Eudoxie, 1876,
Musée Crozatier, Puy en Velay, France

La finalité de la correction fraternelle est bien-là : sauver son frère. Ce qui fait dire à Saint Jérôme que [6]

par le salut d’un autre, nous nous acquérons notre propre salut

Saint Jérôme

En effet, non seulement en pardonnant l’offense nous faisons œuvre de miséricorde mais cette miséricorde nous pousse à corriger le pécheur afin qu’il soit sauvé. En cela, nous ressemblons à Dieu qui en pardonnant nos péchés souhaite que tous nous soyons sauvés.

De telle sorte que si le Seigneur nous invite, premièrement, à rencontrer seul à seul le frère qui nous a offensés ; deuxièmement, à demander l’aide de quelques frères puisqu’il refuse de nous écouter ; troisièmement à recourir à l’assemblée de l’Eglise puisqu’il refuse d’entendre raison et de se convertir, c’est bien par souci de son salut. D’un salut qui nous concerne personnellement autant qu’il concerne nos frères. Nous percevons alors combien la doctrine évangélique est étrangère à l’individualisme comme à l’indifférentisme si caractéristiques de l’esprit de notre monde.

REMBRANDT, Le Christ avec la femme adultère, 1644, National Gallery, Londres

Ayons donc à cœur en ce Dimanche, frères et sœurs bien-aimés, de prier pour que le Seigneur vienne à notre secours : qu’Il nous aide, par Sa grâce, à pardonner à ceux qui nous ont offensés ; qu’Il nous donne, par Sa grâce, le courage d’aller à la rencontre de ceux qui nous ont offensés pour gagner nos frères ; qu’Il nous apprenne à prier sans relâche pour eux et  à avoir souci de leur salut comme du nôtre, ainsi soit-il.

abbé Benjamin MARTIN


[1] Nous utilisons ici la traduction liturgique du Pater. Dans l’Evangile selon Saint Matthieu le Seigneur déclare « Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs » (Mt 6, 12).

[2] Saint Jérôme cité in Saint Thomas d’Aquin, Catena Aurea, sur l’Evangile de Matthieu, trad. Jean Nicolai, 1854, p. 423.

[3] Saint Augustin, sermon 16 sur les paroles de Notre Seigneur. In Catena Aurea, op. cit. p. 424.

[4] Saint Augustin, sermon 16 sur les paroles de Notre Seigneur. In Catena Aurea, op. cit. p. 421.

[5] Saint Jean Chrysostome, Homélie 60 in Matth. In Catena Aurea, op. cit. p. 424.

[6] Saint Jérôme in Catena Aurea, op. cit. p. 425.

REMBRANDT, Le retour du fils prodigue, 1669, musée de l’Hermitage, Saint Pétersbourg
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *