De la Transfiguration du Seigneur

Dimanche 28 février 2021

Homélie pour le second Dimanche de Carême, année B
RAPAHEL, La Transfiguration, 1518-1520, musées du Vatican

Ecoutez l’Evangile Mc 9, 2-10 :

Ecoutez l’homélie :


Frères et sœurs bien-aimés,

En nous mettant à la suite du Seigneur, en ce second dimanche de Carême, nous quittons le désert[1] pour cette haute montagne (Mc 9,2), où le Seigneur convie Ses trois plus proches disciples. Pour nous approcher du mystère de la Transfiguration du Seigneur, il nous faut revenir « six jours »[2] avant cette ascension afin d’en mesurer les attentes et d’en saisir les enjeux.

Fra ANGELICO, La Transfiguration, 1440-1442, Couvent San Marco, Florence, Italie

1. Attentes et enjeux de la Transfiguration

            Voilà six jours[3] que le Seigneur, parvenu dans la région de Césarée-de-Philippe, vient de demander aux disciples :

« Pour vous, qui suis-je ? » Pierre prenant la parole Lui dit : « Tu es le Christ ». Alors, Il leur défendit vivement de parler de Lui à personne. (Mc 8, 29).

En reconnaissant que Jésus est le Christ, Pierre reconnaît que Jésus est le Messie attendu, Celui vers qui convergent toutes les prophéties de la foi d’Israël. Cependant, comme toujours dans l’Evangile selon Saint Marc, Jésus impose le silence sur son identité.

Souvenons-nous, dans notre méditation liturgique de cet Evangile comment le Seigneur fit taire le démon dans la synagogue de Capharnaüm[4] : « Que nous veux-tu Jésus de Nazareth ? […] Je sais qui tu es, tu es le Saint de Dieu » (Mc 1, 24). Le Seigneur lui déclara « Tais-toi et sors de cet homme » (Mc 1, 25). De même[5] en fut-il lorsque le Seigneur irrité purifia le lépreux, Il lui imposa le silence en ces termes : « Je le veux sois purifié » (Mc 1, 41) mais « attention, ne dis rien à personne » (Mc 1, 44). Si Saint Marc rapporte avec insistance cette consigne donnée par Jésus, c’est parce que toutes ces professions de foi ne sont pas sans ambiguïtés. Elles devront être relues à la lumière de la révélation ultime, celle vers laquelle nous cheminons en ce temps du Carême, la lumière de Pâques.  

C’est pourquoi, pour revenir à la profession de foi de l’Apôtre Pierre, le Seigneur impose le silence à Ses disciples et leur annonce pour la première fois[6] Sa Passion, Sa mort et Sa Résurrection. S’il est le Christ comme le reconnaît l’Apôtre Pierre, Il sera le Messie humilié entrevu par le prophète Isaïe (Is 53). Ainsi le Seigneur annonce à Ses disciples qu’Il allait beaucoup souffrir, être rejeté par les Anciens, les Grands-Prêtres et les Scribes, mis à mort mais que trois jour après Il ressusciterait (Cf. Mc 8, 31). Devant l’horreur d’une telle annonce, Pierre prend le Seigneur à part et lui fait de vifs reproches ; mais rien n’y fait : « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8, 33) lui rétorque-t-Il. Le chemin de la Rédemption est donc tout tracé. Lui, le Dieu d’amour et de vérité, entend bien être « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » en s’offrant sur le bois de la Croix. Cette croix le Seigneur l’annonce en exhortant Ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mc 8, 34). C’est donc pour atténuer l’ébranlement des disciples face à Sa mort prochaine, que le Seigneur entend manifester un quelque chose de Sa résurrection. C’est la raison de cette Transfiguration : manifester qu’Il est « la résurrection et la vie » (Jn 11, 25) ou pour reprendre le prologue de cet Evangile selon Saint Marc qu’il est le Commencement, la Bonne Nouvelle, le Christ, le Fils de Dieu (Cf. Mc 1, 1).

Girolamo GENGA, La Transfiguration, v 1510-1515, Museo dell’Opera Metropolitana, Siena, Italie

2. La Transfiguration du Seigneur

Demeurons aux côtés des Saints Pierre, Jacques et Jean et suivons le Seigneur jusqu’à parvenir au sommet de cette montagne avoisinant les cieux. Voici que le Seigneur « fut transfiguré devant eux » (Mc 9, 2). Et Saint Marc de nous rapporter le détail de cette métamorphose[7] : « Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille » (Mc 9, 3).

Voici Moïse et Elie apparaissant à Ses côtés. Moïse vient attester la gloire embrasant le Seigneur transfiguré. Souvenons-nous que Moïse, en son temps, eut lui aussi le visage resplendissant de la gloire de Dieu, que ce soit en haut du Mont Sinaï (Ex 34, 29-33) ou dans l’intimité de la tente de la rencontre, enflammée de la présence de Dieu (Ex 33, 7-23). Mais son visage lumineux, comme celui de Bernadette à la Grotte, n’était que le reflet de la gloire de l’autre monde. C’est pourquoi, cachés derrière les Apôtres, nous contemplons dans le Transfiguré non pas un reflet divin mais la source de la divinité. Moïse atteste, par sa présence, que le Seigneur transfiguré est la « Lumière de la Lumière » comme nous l’affirmons dans le credo.

De l’autre côté du Seigneur, se tient Elie le grand prophète. Sa présence vient attester combien la gloire dont est revêtu Dieu le Fils, provient du plus haut des Cieux. Ainsi peut-il attester que ses « vêtements devinrent resplendissants » (Mc 9, 3), lui dont le manteau tomba de ce char de feu l’emportant, au terme de sa vie terrestre, jusqu’à la gloire du Ciel (Cf. 2 R 2, 1-25).

C’est alors que Saint Jérôme, scrutant les Ecritures, nous dévoile le mouvement dans lequel apparaissent Moïse et Elie autour du Seigneur[8] : Elie descend du ciel d’où il était monté dans ce char de feu ; Moïse monte des profondeurs de la terre dans lesquelles il était enterré (cf. Dt 34, 1-12). Avec Moïse et Elie c’est donc la terre et le ciel, les morts et les vivants, les enfers[9] et le Paradis qui témoignent de leur espérance : Lui, le Fils de Dieu transfiguré est la Résurrection et « la vie du monde à venir »[10].

Devant un tel mystère, Saint Pierre qui a reçu la mission de bâtir l’Eglise[11], se propose du moins de dresser ici trois tentes, afin d’honorer une telle gloire. Mais cette demande aussitôt formulée, voici que des Cieux la nuée du Saint Esprit[12] vient s’étendre en nouvelle tente de la rencontre[13]. Baldaquin lumineux, la nuée vient auréoler de gloire le Seigneur transfiguré ; elle se déploie abritant Moïse et Elie et finit par accueillir les Apôtres eux-mêmes[14].

C’est dans le Saint Esprit qui les a saisis dans Sa nuée, que les Apôtres entrevoient la gloire de Dieu le Fils, cette gloire dont Il sera revêtu en suite de Sa Résurrection comme de Sa Glorieuse Ascension. Et c’est dans l’éclat d’un tel règne, que la voix de Dieu le Père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le » (Mc 9, 7).

Marco BENEFIAL, La Transfiguration, 1730, Saint André, Vetralla, Italie

Conclusion

A cette voix, abasourdis par une gloire qui n’est pas de ce monde, les Apôtres sont saisis de crainte. Soudain, conclut Saint Marc,

regardant tout autour, [les disciples] ne virent plus que Jésus seul avec eux[15]. Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.

Le Seigneur impose une nouvelle fois le silence car l’heure n’est pas encore venue. D’ailleurs, comme nous le confie Saint Marc, les Apôtres « restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : ressusciter d’entre les morts » (Mc 9, 10). A l’école du Divin Maître les disciples ont encore beaucoup à apprendre. L’heure est pour eux comme pour nous à la méditation de ces événements sur lesquels la Résurrection apportera la pleine lumière. « Ressusciter d’entre les morts » tel est bien ce qui est promis à nos corps mortels. Ainsi soit-il.

abbé Benjamin Martin

Gérard DAVID, La Transfiguration, 1520, O.L. Vrouwekerk, Bruges

[1] Cf. Ier Dimanche de Carême, année B, Mc 1, 12-15.

[2] L’Evangile de ce jour commence en effet par cette transition « six jours plus tard » (Mt 17, 1). Nous sommes donc renvoyés à Mt 16, 13-28.

[3] C’est ainsi que s’ouvre cette page d’Evangile « Six jours après » (Mc 9, 2), transition que ne reprend pas la proclamation liturgique dans son introduction : « En ce temps-là, Jésus prend avec lui… ».

[4] Cf. Mc 1, 21-28 / IVème Dimanche du Temps Ordinaire, année B.

[5] Cf. Mc 1, 40-45 / VIème Dimanche du Temps Ordinaire, année B.

[6] Le Seigneur l’annoncera une seconde fois après la Transfiguration (Mc 9, 30-32) et une troisième fois avant Son entrée à Jérusalem pour Sa Passion (Mc 10, 32-34).

[7] Le grec de l’Evangile porte metamorphosis ; Transfiguration vient du latin trans (au-delà) et de figura (figure).

[8] Saint Jérôme commente : « Ici il fait éclater un signe […] pour augmenter la foi des Apôtres, et il fait descendre Elie de là où il était monté, et ressusciter Moïse des enfers ». In Saint Thomas d’Aquin, Catena Aurea, Sur l’Evangile de Saint Matthieu, trad. Nicolai, Ed. L Vivès, Paris, 1854, p. 379.

[9] Attention à ne pas confondre l’enfer du démon avec les enfers, ce lieu spirituel où l’âme des Justes est en attente de la Rédemption. C’est la raison de la descente aux enfers du Seigneur en suite de sa mort. Il va chercher les âmes des Justes pour les faire entrer en vie éternelle.

[10] Saint Jean Chrysostome le confirme : « C’est pour apprendre [aux Apôtres] que [Lui, le Seigneur] est le maître de la vie et de la mort […] qu’il se montre [transfiguré] au-dessus de Moïse qui succomba à la mort et d’Elie qui n’en a pas encore été atteint ». Cité in Catena Aurea, op. cit. p. 377.        

[11] Si Saint Marc ne rapporte pas la mission de Pierre – « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » Saint Matthieu le rapporte en amont de la Transfiguration (Cf. Mt 16, 18).

[12] La nuée représente Dieu le Saint Esprit. Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III pars, Q. 45, art. 4, sol. 2, Cerf, Paris, 2000, p. 332.

[13] La liturgie orthodoxe chante dans le Lucernaire des Vigiles de la Transfiguration : « La montagne fut l’image du Ciel, la nuée se déploya comme une tente, tandis que tu étais transfiguré […] La nuée les enveloppa comme une tente et la voix du Père lui rendit témoignage ». Si nous précisons cela c’est que la tradition latine, en s’attachant à montrer que la demande de Pierre était une tentation (celle de quitter le monde et sa mission pour rester ici à contempler la gloire de Dieu), ne voit pas que la nuée enveloppant ce mystère peut être considérée comme la réponse divine à sa demande maladroite.

[14] Le mouvement progressif de la nuée est décrit dans la Transfiguration telle que la rapporte Saint Luc dans son Evangile : Lc 9, 28 – 36. Ce mouvement est sous-entendu chez Saint Matthieu, immédiat chez Saint Marc.

[15] Pour redescendre de cette montagne, au terme de notre méditation, mettons-nous à l’école de Saint Thomas d’Aquin (Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III pars, Q. 45, art. 2). Lorsque dans sa Somme de Théologie il rend compte du mystère de la Transfiguration du Seigneur, il interroge le caractère miraculeux d’une telle manifestation de gloire. Où se trouve le miracle ? Est-il à chercher dans le visage resplendissant du Seigneur ? Dans ses vêtements immaculés ? Dans le retour d’Elie ? Dans la résurrection de Moïse peut-être ? Ou encore, dans la manifestation de la Sainte Trinité ? Non répond-il. Le miracle n’est pas dans la Transfiguration du Seigneur. Au contraire, le miracle réside dans le fait que la gloire de la divinité du Seigneur, telle qu’il la manifeste dans sa Transfiguration, est tenue cachée dans son humanité. Le miracle est donc là, dans la finale de l’Evangile : les Apôtres ne virent plus que Jésus seul. L’humanité du Seigneur contient miraculeusement la gloire infinie de sa divinité.

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