Les musiciens
Rosa Mystica
Méditations sur les Litanies de la Sainte Vierge
abbé Benjamin MARTIN
1. Les Litanies de Lorette
Chant des litanies :
D’origine mystérieuse, les litanies de la Sainte Vierge sont rattachées au Sanctuaire de Lorette en Italie. Cette Basilique renferme la maison dans laquelle, à Nazareth, la Sainte Famille a vécu. Haut lieu de pèlerinage, c’est autour de la Sainte Maison qu’ont jailli les litanies de la Sainte Vierge, que l’on appelle également Litaniae Lauretanae, les litanies de Lorette.
Sainte Maison
C’est le Pape Sixte V, originaire de Grottamare non loin de Loreto, qui les connaissant depuis son enfance les approuva officiellement pour l’Eglise universelle en date du 11 juillet 1587 (Bulle Reddituri). Si les Papes Benoît XIII en 1728 et Pie VII en 1817 leur rattachèrent des indulgences, les litanies de la Sainte Vierge ont connu quelques ajouts en raison, tout d’abord, de l’éclaircissement apporté par les dogmes. C’est ainsi, qu’en suite du dogme de la conception immaculée de la Sainte Vierge, le 8 décembre 1854, le Bienheureux Pape Pie IX approuva l’ajout de l’invocation Regina sini labe originali concepta / Reine conçue sans la tâche originelle, priez pour nous. De même, la veille de la proclamation du dogme de l’Assomption de la Sainte Vierge (1er novembre 1950), le 31 octobre 1950, le Vénérable Pape Pie XII ajouta aux litanies Regina in cælum assumpta / Reine élevée au Ciel, priez pour nous (Cf. AAS, 42, 1950). Plus récemment, pour couronner les développements ecclésiologiques du second Concile du Vatican et le rôle qu’y tient la Sainte Vierge, le Pape Saint Paul VI fit ajouter aux litanies l’invocation Mater Ecclesiae / Mère de l’Eglise, priez pour nous.
Auparavant, le Pape Léon XIII appelé le Pape du Rosaire en raison des nombreuses encycliques qu’il y consacra, fit ajouter en 1883 la mention Regina Sacratissimi Rosarii / Reine du Très Saint Rosaire, priez pour nous ; puis en 1903 l’invocation Mater boni consilii / Mère du Bon Conseil, priez pour nous. C’est également le Pape Léon XIII qui demanda à ce qu’à la fin du chapelet le peuple chrétien lui ajoute les litanies de la Sainte Vierge. C’est la raison pour laquelle il est bon, en ce mois de Marie, de les redécouvrir.
Biblioteca Nazionale Marciana, Venise.
La deuxième raison pour laquelle les Pontifes ajoutèrent des invocations aux litanies tient aux dangers nécessitant l’intervention de Celle qui en Mère Puissante est la Consolatrice des affligés, le Salut des Infirmesou encore le Refuge des pécheurs. C’est ainsi qu’en action de grâce pour l’improbable victoire que fut la bataille de Lépante, le pape Saint Pie V ajouta l’invocation Auxilium Christianorum, Secours des Chrétiens, priez pour nous. Durant les tourments de la première guerre mondiale, le Pape Benoît XV en 1915 (Lettre au cardinal Gaspari en date du 5 mai 1917) ajouta l’invocation Regina Pacis qui conclut les litanies : Reine de la paix, priez pour nous. Plus récemment, face à la destruction de la famille, le Pape Saint Jean-Paul II ajouta aux litanies l’invocation Regina familiae, Reine des familles, priez pour nous.
Ces litanies ont un ordre. Après l’invocation de la Trinité Sainte, elles développent à partir de son nom – Sainte Marie – la maternité puis la virginité jusqu’à développer la royauté de Notre Dame.
Parce qu’en Maison d’or, Elle est la Mère du Christ, elle est par ce fait même la Mère de Dieu (Cf. Concile d’Ephèse en 430) et donc la Mère du Créateur comme la Mère du Sauveur. Parce qu’elle est mère tout en demeurant vierge, l’Arche d’alliance est la Vierge des Vierges, une Mère très pure, une Mère sans tâche, une Mère très chaste.
Là où l’Archange Gabriel saluait en Elle la « Pleine de Grâce » (Lc 1, 28), les litanies invoquent en Sainte Marie, la Mère de la grâce divine. Là où la Sainte Vierge dans son Magnificat (Lc 1, 46-55) reconnaissait : « toutes les générations me diront bienheureuse » ; les litanies lui répondent en écho filial, l’acclamant en Mère admirable, Vierge vénérable comme en Vierge digne de louange.
Enfin les litanies invoquent la Reine élevée au Ciel qui agit ici-bas en Mère puissante, clémente et fidèle. Couronnée au Ciel, les litanies l’acclament non sans protocole en Reine des Anges, des Patriarches, des Prophètes, des Apôtres, des Martyrs, des Confesseurs de la foi, des Vierges, en un mot, en Reine de tous les Saints.
En ce mois de mai, célébrons la Fleur d’entre les fleurs, Celle que les litanies invoquent en Rosa mystica. Rose Mystique, Rose du mois de mai, priez pour nous.
Chant : « C’est le mois de Marie »
2. Mystique d’une Rose sans épine
Ce chant nouveau du mois de Marie, nous place dans un jardin au centre duquel nous contemplons Celle que Saint Bernard nomme « Flos florum », la « Fleur d’entre les fleurs ». Ecoutons-le effeuiller la mystique de cette Rose du mois de mai :
« Il est dit de Marie, dans les Saintes Écritures, qu'elle fut le jardin fermé de Dieu. C'est dans ce jardin que le Seigneur planta toutes les fleurs qui ornent l'Église, et entre autres, la violette de l'humilité, le lis de la pureté, et la rose de la charité. La rose est vermeille ; c'est pour cela que Marie est appelée rose, à cause de l'ardente charité dont son cœur fut toujours enflammé envers Dieu et envers nous ; car la couleur vermeille, ou de feu, indique l'amour ou la charité ». (Migne, Encyclopédie Théologique)
La rose est l’un des plus anciens symboles chrétiens. Peut-être le plus méconnu. On le trouve sculpté en rosier ou en couronne sur les tombes des premiers chrétiens. C’est pour eux la fleur de l’Espérance, le signe du Paradis retrouvé.
A leur suite, les Pères de l’Eglise reconnaissent en la Vierge Marie « la rose de Saron » (Ct 2, 1) à laquelle le Bien-aimé du Cantique des Cantiques compare sa promise : « comme la rose au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée parmi les jeunes filles » (Ct 2, 2) chante-t-il.
La Sainte Vierge nous présente ici une rose sans épine
Si le mystère de la Sainte Vierge se donne à voir dans la beauté de cette rose c’est qu’elle fleurit au-dessus d’un buisson aux nombreuses épines. C’est là tout le paradoxe de sa beauté : comment une fleur si belle et délicate peut-elle surgir d’un buisson de ronces ? C’est que les épines ne sont survenues qu’en conséquence du péché, commente Saint Basile (Cf. Hexameron, Homélie sur la germination de la terre V, 8). Et Saint Ambroise d’y entrevoir alors le mystère entourant la Nativité de Notre Dame : « Avant que l’Homme ne chute, la Rose était née, sans l’Épine » déclare-t-il. Approfondissons, à l’école de Saint Bernard de Clairvaux la mystique de cette Rose :
« Eve fut une épine, Marie une rose. Eve fut véritablement une épine, elle piqua son mari jusqu'à lui donner la mort, et elle plongea dans le cœur de tous ses enfants l'aiguillon du péché. […] Pour faire éclater sa gloire et pour renverser la sagesse humaine, Dieu a daigné naître d'une femme vierge, issue de la tige épineuse des Pères, prendre un corps afin de devenir semblable à l'homme, de guérir le contraire par son contraire, d'arracher l'épine vénéneuse et de déchirer avec puissance la cédule de condamnation du péché. Par ce sexe féminin, l'humilité se montre avec éclat, la gloire et la majesté d'une vierge nous vient en aide et la grâce chasse le péché. Eve fut donc une épine et Marie une rose : Eve une épine en blessant, Marie une rose en adoucissant les sentiments de tous les hommes. Eve épine en donnant à tous la mort : Marie rose en rendant à tous le salut. […] Marie fut une rose blanche par la virginité, rouge par la charité ; blanche quant au corps, rouge quant à l'âme ; blanche par la pratique de la vertu, rouge par son triomphe sur les vices ; blanche par la pureté de ses affections, rouge par la mortification de la chair, blanche par l'amour de Dieu, rouge par sa compatissante à l'égard du prochain ». Saint Bernard, Sermon sur la Bienheureuse Vierge Marie.
3. Mystique de la Rose de Lourdes
En invoquant la Sainte Vierge en Rose mystique, les litanies se font l’écho du mystère entourant Sa conception immaculée. Sous ces images – Rose mystique, « Rose sans épine » – la théologie symbolique livre ses premiers mots.
En écho, les litanies de la Vierge portent en elles le fruit de l’éclaircissement progressif de ce mystère, jusqu’à accompagner la proclamation solennelle du dogme le 8 décembre 1854. A l’ancienne et vénérable Rose mystique, les litanies en viennent à invoquer cette Mère très pure, qui apparaît en Mère sans tâche et se révèle en Refuge des pécheurs jusqu’à être couronnée : Reine conçue sans la tâche originelle, priez pour nous.
En apparaissant à Lourdes en 1858, la Sainte Vierge s’approprie les mots mêmes de la proclamation dogmatique : « Je suis l’Immaculée Conception ». Si en cela Elle fait du neuf avec de l’ancien (Cf. Mt 13, 52), elle reprend également le langage mystique de la Rose sans épine.
Lorsque Sainte Bernadette paraît sur les bords du Gave le 11 février 1858, elle cherche à traverser le canal du Moulin de Savy afin de passer sur l’autre rive, celle de Massabielle. L’imposante roche étant l’endroit où ce canal rejoint le Gave, elle se résout à le traverser afin de rejoindre ses compagnes.
La voici sur la pointe de l’île du chalet (n°9 sur la carte), ôtant son premier bas de laine. Surprise par le bruissement d’un buisson, elle lève la tête. Face à elle, l’obscure Grotte présente au pied d’une sorte de niche rocheuse, l’agitation d’un épineux buisson.
Ôtant son second bas de laine, un nouveau coup de vent fait virevolter son capulet tandis qu’alentour aucun arbre ne semble décider à bouger.
C’est alors qu’au-dessus de cet épineux buisson, Bernadette voit poindre une lumière. Celle-ci va grandissant jusqu’à esquisser un sourire. De ce lumineux sourire apparaît de plus en plus distinctement le contour d’une Jeune Fille, qui se présentant à son regard, lui fait signe de la rejoindre sur l’autre rive.
Vêtue d’une robe immaculée dont les nombreux plis sont tenus par une ceinture bleue s’ouvrant en deux bandes sur le devant, la Jeune Fille au sourire se tient altière et belle du haut de la niche rocheuse. Les pieds, comme posés sur cet églantier, cachent leur nudité en présentant sur chacun d’eux une rose épanouie. C’est le signe que l’abbé Peyramale demandera à Bernadette de transmettre à sa Mystérieuse Dame : faire fleurir l’églantier de Massabielle. Si Elle ne répondit à cette demande que par un sourire, c’est peut-être qu’en Rose Mystique, les fleurs sur ses pieds avaient devancé la demande de M. le Curé.
Mais de quelle couleur sont donc ces roses ? Bernadette ne répond pas tant par une couleur que par une association. Les roses sont assorties à la chaine du chapelet que la Jeune Fille en prière passe entre ses doigts. L’or de ces roses, fleurissant l’églantier de Massabielle, nous renvoie donc au Rosaire. Avant d’être un collier de perles ou de grains, le chapel qui donna son nom au chapelet est une couronne tressée de roses que l’on offrait à la Vierge. D’ailleurs les premières communiantes de jadis se souviennent peut-être qu’après les Vêpres, elles chantaient agitant leur couronne de fleurs à la Vierge Marie : « Reçois ma couronne je te la donne, au Ciel n’est-ce pas tu me la rendras ? ». Le chapel étant tressé de roses, on l’appela également rosaire.
Des roses cachant ses pieds à son Rosaire, Notre Dame de Lourdes se donne à voir en Rose Mystique à une époque qui ne tardera pas, par la voix du Pape Léon XIII, à être couronnée : Reine du Très Saint Rosaire, priez pour nous. L’invocation date de 1883, l’année même où débutèrent, au Sanctuaire de Lourdes, la construction de ce qui deviendra la Basilique du Rosaire. Sur le fronton de sa porte, autour de la Vierge donnant par Son Fils le rosaire à Saint Dominique, on peut lire cette citation du livre de l’Ecclésiastique : Quasi rosa plantata super rivos aquarum fructificate / Comme la rose plantée sur la rive des eaux, portez du fruit » (Si 39, 13). Prions pour que plantés près de la source de Massabielle, nous puissions porter du fruit et répandre dans ce monde « la bonne odeur du Christ » (2 Co 2, 15).
– Ave Maria –
Alors que notre méditation touche à sa fin, passons de Lourdes à Fatima afin d’invoquer la Reine du Très Saint Rosaire que nous avons fêté il y a peu, le 13 mai dernier.
Chant : « Ave Maria de Fatima »
abbé Benjamin MARTIN