Dimanche des Rameaux, 5 avril 2020

En vous écrivant ces lignes, c’est une lettre plus qu’une newsletter qui vous parvient. Ayant la vertu de laisser au temps celui de passer, ce confinement appelle une lettre comme celle du temps jadis. C’est que le temps ne nous échappe plus, si ce n’est dans la violence inquiète de nos maisons de santé. Et parce que nous ne lisons guère ici, comme nous dévorerions une lettre d’intérêt, permettez que je vous livre ces mots qui vous sont adressés.

En ce dimanche le Seigneur entre dans la ville sainte. Je joins, en post-scriptum à cette lettre, le chant du Vexilla Regis qui, tel des légionnaires escortera notre entrée dans la Sainte Semaine. Composé pour l’accueil d’une Relique de la Vraie Croix, en date du 19 novembre 569 à Poitiers, Venance Fortunat qui en deviendra le Saint Evêque y chante le mystère de la Croix du Seigneur nous la révélant en Arbre de vie. Heureux temps où les évêques étaient poètes.

Aujourd’hui, du grand Roi, l’étendard va marchant, […]
Aujourd’hui, de la Croix, resplendit le mystère, […]
Chantant ces mots sacrés sur les tons de sa lyre :
L’Éternel, par le bois, a planté son Empire.

Ce chant accompagne, nous l’entendons, le Triomphe de la Croix dont Sainte Radegonde, Reine de France, vient de recevoir un fragment précieux des reliquaires de l’Empereur de Byzance. A sa suite comme à sa maternelle prière, que celle qui a mérité le titre de Mère de la Patrie, Sainte Radegonde, permette à feu son royaume de s’abreuver de nouveau à l’Arbre de vie. Que la vieille Europe, étoilée comme un jour d’Apocalypse, s’y enracine de nouveau. Car vous êtes chrétiennes, France, Europe, ne vous en déplaise. Nous prions pour que Celui qui renverse les Puissants de leur trône vous relève car il vous trouvera aux lendemains de cette épidémie improbable, humbles et mieux disposées pour une renaissance peut-être. Nova et vetera le Seigneur fait du neuf avec de l’ancien.

De cet Arbre salutaire nous n’agiterons pas, cette année, les verts rameaux. Une telle liesse, nous le percevons, n’est pas pour ce temps. Relisons ces vers du Saint Evêque de Poitiers. Comprenons avec eux que nos rameaux demeurent, pour un temps encore, sur l’Arbre de la Croix. 

Tige trois fois heureuse dont le chef exalté,
Soutient le juste prix du monde racheté,
Et balance le corps qui mort, ses bras déploie
Pour ravir aux enfers leur rapine et leur proie.

Étrange Pâque célébrant la Libération alors qu’en nos âmes se ressent la blessure de nos confinements. Mais depuis combien d’années, les rameaux de nos habitudes, voire de nos superstitions, ployaient sous le poids d’un monde apostat. Ne formaient-ils pas ce buisson dans lequel nous cachions avec Adam notre nudité ? La voilà révélée au grand jour : la nudité de notre faiblesse ; la nudité de nos manques de foi ; la nudité de ce monde froid dont le seul réchauffement vient de ce qu’à Dieu il a préféré l’Argent : consommez, consommez mon peuple… peuple sans frontières, sans histoire ni patrie, sans famille et sans Dieu, bientôt sans vie. Où croyais-tu donc aller si librement ? Ne vois-tu pas les inégalités criantes de ton marché unique ? Marché inique où ceux, sous le joug de la faucille, encaissent les coups de son marteau. Nous en sommes réduits à jauger l’homme par son pouvoir d’achat : consommez, consommez mon peuple.

Où est-elle donc, ô monde, la Toute-puissance de l’homme ? En dérobant la Toute Puissance à Dieu, plus haute n’en est ta chute. Pascal déjà le pensait : « qui fait l’ange fait la bête ». Tu t’es plus à nous entrainer de la vie à la mort, en ange déchu. Mais nous voici en quarantaine, bien décidé à suivre celui qui de la mort nous conduit à la Vie. Ecoute de ton Seigneur et Maître la salutaire leçon : ce n’est pas la liberté qui rend libre. Seule la vérité rend libre. Et cette Vérité a un nom propre. Ecce homo : Voici l’homme mais l’homme-Dieu qui vient nous sauver du haut de l’Arbre de vie. Abrités sous son ombre, nous la saluons avec le Saint poète :

Je te salue, ô Croix, seul espoir des vivants !
En ces jours douloureux de larmes s’abreuvant,
Augmente aux cœurs des bons l’immortelle justice,
Et pardonne aux pécheurs leur mortelle malice.

Ainsi, cette année, nos rameaux demeureront greffés sur Celui qui est la Vigne véritable. Combien avons-nous besoin de sa sève puissante, comme de l’ivresse que seul répand son fruit lorsqu’il est foulé au pressoir de la Croix. Jamais le désir du devoir pascal – se confesser et communier – n’a-t-il été creusé pour s’en voir finalement privé. Mystère d’un temps de sevrage duquel la gratuité des Sacrements doit gagner en préparation. Qu’avons-nous fait du jeûne eucharistique ? De l’état de grâce ? N’avons-nous pas séparé la confession de la communion comme ce monde sans Dieu s’est plu à séparer l’amour de la procréation ? Force est de constater que confession et communion nous sont ravis… Peut-être qu’en se détournant de Dieu pour lui préférer la vue des fidèles a-t-on perdu, de l’autel, son essentiel invisible. Les prêtres dans leur solitude y sont renvoyés. Et ceux-là même qui hier ont dénigré la communion spirituelle y sont renvoyés.

Soyez notre lumière, ô soleil levant. Venez nous visiter et même si nous ne nous réchaufferons pas autour du feu pascal, que votre amour embrase nos âmes et qu’il y entre le rayon de votre grâce puissante.

Alors que je m’apprêtais à achever cette lettre d’un autre temps, me parvient l’affreuse nouvelle, celle de l’attentat ayant frappé hier matin Romans-sur-Isère. L’histoire a le don de se répéter puisqu’aucune leçon ne semble pouvoir en être tirée. Voilà le retour d’une guerre dont on s’interdisait de désigner le nom de l’ennemi ; conjuguée à cette guerre sanitaire dont on a préféré taire le confinement. Finement on est peut-être con-finés mais pas encore assez pour oublier le poids d’une réalité qui ne cesse de nous rattraper. 

***

Pour traverser les lourdeurs de ce temps, et oeuvrer à la conversion des âmes, je vous propose cette semaine de suivre la voie d’enfance. Ecoutons le Seigneur, dans sa prédication, nous la présenter : Si vous ne devenez comme des enfants vous n’entrerez pas au Royaume des Cieux. Cette voie d’enfance à maintenant son onglet jeunesse sur vox in deserto. Vous y trouverez les enregistrements d’une journée de préparation à la confession pour les enfants du catéchisme. Quelle fraicheur mêlant aux chants des oiseaux le rire et les questions des enfants. Nul doute que petits et grands vous ferez votre miel afin de préparer, même spirituellement, votre confession pascale. Viendra un temps où l’absolution sacramentelle nous sera de nouveau accessible. Ainsi nous serons prêts. 

Je vous bénis chacun alors que s’ouvre cette Semaine Sainte avec le chant du Vexilla Regis.

abbé Benjamin MARTIN


Voici le chant grégorien du Vexilla Regis dont le chant nous parvient des voûtes de l’église de Lannemezan.

Que M. Laurent Bouchadeil en soit remercié. 

– Traduction de l’abbé Michel de Marolles (1600-1681) –

Vexílla Regis pródeunt,
Fulget Crucis mystérium :
Quo carne carnis cónditor,
Suspénsus est patíbulo.

Quo vulnerátus ínsuper
Mucróne diro lánceæ,
Ut nos laváret crímine,
Manávit unda et sánguine.

Impléta sunt quæ cóncinit
David fidéli cármine,
Dicens: In natiónibus
Regnávit a ligno Deus.

Arbor decóra, et fúlgida,
Ornáta Regis púrpura,
Elécta digno stípite,
Tam sancta membra tángere.

Beáta, cujus bráchiis
Sæcli pepéndit prétium,
Statéra facta córporis,
Prædámque tulit tártari.

O Crux ave, spes unica,
Hoc Passiónis témpore,
Auge piis justítiam,
Reísque dona véniam.

Te summa Deus Trínitas,
Colláudet omnis spíritus:
Quos per Crucis mystérium
Salvas, rege per sæcula. Amen.
Aujourd’hui du grand Roi l’étendard va marchant,
Où l’Auteur de la chair vient sa chair attachant.
Aujourd’hui de la Croix resplendit le mystère,
Où Dieu souffre la mort aux mortels salutaire.

Voilà, du flanc du Christ, étant du fer atteint,
Sors le ruisseau vermeil, qui les crimes éteint :
Céleste lavement des âmes converties,
Mêlant de sang et d’eau ses ondes my-parties.

Maintenant s’accomplit aux yeux de l’Univers
L’oracle que David inspira dans ses vers,
Chantant ces mots sacrés sur les tons de sa lyre :
L’Éternel par le bois a planté son Empire.

Arbre noble et trophée illustre et glorieux,
Orné du vêtement du Roi victorieux :
Plante du Ciel chérie, et des anges chantée,
Pour toucher de sa chair la dépouille sacrée.

Tige trois fois heureuse dont le chef exalté,
Soutient le juste prix du monde racheté,
Et balance le corps qui mort, ses bras déploie
Pour ravir aux enfers leur rapine et leur proie.

Je te salue, ô Croix, seul espoir des vivants !
En ces jours douloureux de larmes s’abreuvant,
Augmente aux cœurs des bons l’immortelle justice,
Et pardonne aux pécheurs leur mortelle malice.

Ainsi puisse ton nom en mérite infini,
Suprême Trinité ! sans fin être béni,
Et ceux que, par la Croix tu délivres de crainte,
Triompher à jamais sous ta bannière sainte. Amen.

En voici la partition :