Ecouter le concert spirituel dans son intégralité (méditations et improvisations) :


« Des herbes amères aux rameaux d’oliviers »

Depuis l’entrée triomphale du Seigneur, dimanche dernier, nous n’avons pas davantage quitté Jérusalem, que la présence du Seigneur. Le voici, entouré de Ses Apôtres, au seuil du Temple. Et parce que nous suivons la voie d’enfance, nous escortons librement le Seigneur à travers la ville sainte. C’est ainsi que de l’esplanade nous L’accompagnons, au milieu des Apôtres, jusqu’au Cénacle.

Entendez-vous, chemin faisant, l’empressement monter de la ville sainte ? Ressentez-vous l’agitation des derniers préparatifs ? Voyez ces flots de pèlerins quitter le Temple avec nous. Eux descendent en ville…  Quelle hâte dans leur pas ! C’est que ce soir, c’est le Jeudi, saint entre tous. Avec lui commencent les sept jours de la Pâque du Seigneur.

Du sommet du Mont Sion, voyez la ville sainte dans ses contrebas. Ne semble-t-elle pas oppressée dans les contreforts de ses murailles ? Telle est le mystère de cette nuit qui la saisit. Le cœur de Jérusalem bat à l’heure de la dixième plaie d’Egypte (Ex 12, 29-36). La voici captive, attendant la libération promise par Dieu. C’est en cette nuit très sainte que Dieu « est passé au-dessus » (Pessah / Pâque) des maisons. Telle est la Pâque du Seigneur.

Orgue, instrument sacré, fais-nous entendre de la divine traversée, l’empressement du Dieu libérateur. Accompagne Ses échappées au-dessus des maisons alors qu’Il frappe l’Egypte. Donne souffle de vie au tragique de l’ancienne Pâque qui en « mémorial perpétuel » (Ex 12, 14) annonce celle du Seigneur qui vient.

Alors que nous nous éloignons du Temple, l’odeur du sang des agneaux tend à se dissiper. Si vous étiez arrivés plus tôt, vous auriez entendu les lourdes portes du Temple se refermer sur les groupes de pèlerins au son de la corne (chofar) sacrée. D’abord la longue tekia encadrant les saccades de la teroua. Dans la cour, vous auriez vu le rang des prêtres tenant en main bassin d’or et bassin d’argent. Alors les premiers pèlerins offraient chacun leur agneau pascal. Etaient-ils morts ? Leur sang circulait encore mais de bassin en bassin, d’un prêtre à l’autre, jusqu’à parvenir au pied de l’autel du sacrifice. L’arrivée du sang, et avec lui celui de la libération divine, était accompagnée du chant des psaumes (Hallel). Mais ce soir, l’Agneau de Dieu auprès de qui nous cheminons, vient accomplir la Pâque…

Orgue, instrument sacré, fais résonner le sang de l’Agneau qui, d’un bassin à l’autre, vient abreuver l’autel du sacrifice. Dis-nous combien ce sang versé annonce celui qui du Cœur transpercé jaillira de l’Arbre de vie.

Bon pasteur au-devant des Apôtres, le Seigneur dans notre marche vient de s’arrêter. Il veille à l’avancée des saintes femmes qui suivent de loin.

Alors que nous les attendons, retournez-vous et découvrez la vue sur Jérusalem. Sentez-vous le fumet de l’agneau rôti nous parvenir des maisons ? Et la chaleur des fours à pains soufflant la fraîcheur d’un pain non levé ? Percevez-vous, subtile, cette amertume si caractéristique à la fête de Pâque ? Ce sont les herbes fraîchement taillées dont l’amertume, au goût de captivité, nous rappelle la lointaine Egypte.  

Nous sommes au cœur de Jérusalem. Regardez, en suivant les murs d’enceinte du Temple : voici la forteresse Antonia dans laquelle les légions romaines veillent. Suivez l’ombre de sa menace, et découvrez : le sommet du Temple. Voyez, les ors de son fronton, étinceler au soir couchant.

– « Ah Jérusalem, Jérusalem tu as fait pleurer le Seigneur lorsqu’il montait, au chant des psaumes, pour ravir ton sommet (Cf. Lc 19, 41-48) ». L’Arche d’Alliance n’est plus dans ton Saint des Saints, car l’Arche de la Nouvelle d’Alliance est là. Voici la Sainte Vierge et son cortège paisible de saintes femmes. Elle est la Nouvelle Eve qui du jardin clos de sa virginité a cueilli le fruit de ses entrailles, qu’elle rend à l’Arbre de vie.

Alors que nous reprenons notre marche, entendez-vous, si près du Seigneur, le vacarme des fils du tonnerre (Cf. Mc 3, 17) ? Judas vient de leur demander de se calmer. S’il y en a un qui semble partager le recueillement du Maître ce soir, c’est bien lui. Entre nous, si le tintement de sa bourse ne trahissait son pas, on pourrait penser qu’il vole ! Une telle légèreté tranche avec la lourde cadence du pas de Pierre. Quelle franchise habite chacun de ses pas ! Il nous plaît de cheminer à ses côtés avec le jeune Saint Marc dont nous partageons la voie d’enfance.

Marc ou Jean-Marc (Cf. Ac 12, 12), c’est le cousin de Barnabé (Cf. Col 4, 10). Dans quelques années, ils deviendront les compagnons inséparables de celui qui, pour l’heure, étudie au pied de Gamaliel (Ac 22, 3), Saint Paul. Avant de le suivre dans ses voyages, Marc passe son enfance au milieu des Apôtres. Voyez l’amitié qui le lie à Pierre. C’est de ses confidences, récoltées çà et là, qu’il écrira, à l’ombre du Saint Esprit, son évangile.

Vous voyez dans le groupe des femmes, non loin de la mère de Jésus, c’est la mère de Marc. Elle s’appelle Marie elle-aussi (Cf. Ac 12, 12). Sa famille est propriétaire du Cénacle où nous arrivons.

Entrez. Voici la salle basse. Ici l’escalier conduisant à l’étage où tout est prêt pour la Cène, et si vous suivez son degré vous parviendrez jusqu’à la chambre haute. C’est là, toutes portes closes, qu’apparaîtra le Ressuscité (Cf. Jn 20, 19).

Cette salle basse n’est pas sans prestige. Sous son lourd dallage, repose le roi David (Cf. Ac 2, 29). Quand je vous disais qu’ici bat le cœur de Jérusalem… D’ailleurs les arbres, par la fenêtre, font jouer leur ombre sur la tour de David. Cette citadelle surveillant Jérusalem porte son nom en raison de la proximité avec ce tombeau. C’est donc en cette salle royale que le Seigneur vient d’entrer avec Ses Apôtres. Ecoutons Saint Jean nous décrire les faits et gestes du Seigneur qui y résonnent.

Suivant la voie d’enfance, ce n’est pas le lavement des pieds qui retient notre attention. Si l’abaissement du Seigneur et Maître étonne les Apôtres, il ne nous surprend pas. N’est-il pas bien naturel au jeune enfant que de voir ses parents se pencher vers lui ? Ne sont-ils pas à ses pieds à l’heure du bain ?

Ce que retient l’esprit d’enfance c’est la trahison de Judas. Comment l’ami fidèle, l’économe du collège apostolique, peut-il ainsi trahir son Seigneur et Maître ?

Pour l’heure, la mystérieuse déclaration du Seigneur fait son chemin. Elle accompagne le départ de Judas, se croise dans les regards et se lit en tristesse sur le visage du Seigneur.

C’est cette tristesse qui nous retient : le Seigneur est « bouleversé » (Jn 13, 21). Bientôt au jardin des oliviers Il confiera : « mon âme est triste à en mourir » (Mt 26, 38).

En disciple bien-aimé, Saint Jean perçoit le trouble. Cependant, il ne voit pas la tristesse du Seigneur sur Son visage. Il entend battre Son Cœur. C’est qu’allongé près du Seigneur, sa tête repose tout contre Sa poitrine (cf. Jn 13, 23).

Orgue, instrument sacré, fais-nous entendre les battements qu’en bien-aimé Saint Jean entend du Cœur Sacré. Que Ton souffle descende sur ces eaux : sur celle qui lave les pieds des Apôtres comme sur celle qui jaillira de Son côté transpercé.

En disciple bien-aimé, demeurons, un instant encore, nous reposant sur le cœur du Seigneur. Avec Saint Jean, nous L’adorons dans cette nuit très sainte où Il s’offre à nous.

Cœur du Christ, Fils du Père, nous Vous adorons.
Cœur du Christ formé par le Saint Esprit dans le sein de la Vierge Marie, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, uni substantiellement au Verbe de Dieu, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, Temple saint de Dieu, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, Tabernacle du Très-Haut, en qui réside la plénitude de la divinité, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, fournaise ardente de charité en qui le Père se complait, nous Vous adorons.

Parce qu’il est dans la nature de l’amour de se donner, voici que le Seigneur s’offre à l’avance, sans retard ni retour. Du sacrifice, Il est le prêtre, l’autel et la victime. Voici l’Agneau de Dieu qui, librement, s’offre pour les Noces de la Rédemption. Ecoutons Saint Paul, dans sa lettre aux Corinthiens, nous en rapporter le fidèle récit.

La nuit où il fut livré, le Seigneur Jésus prit du pain, 
puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : 
« Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
 Après le repas, il fit de même avec la coupe, 
en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. 
Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » (1 Co 11, 23-26)

Sur ces paroles, c’est le sacrement de l’amour que le Seigneur institue. Il jaillit en source d’eau vive du plus profond de Son cœur. Voici que le pain non levé de l’ancienne Pâque devient Son corps. Le vin contenu dans la quatrième coupe de l’ancienne pâque – celle servie pour le retour d’Elie – devient Son sang.

Corps livré, Sang versé, le Seigneur se donne à l’avance, sans retard ni retour. Pourtant l’heure est venue de quitter le Cénacle et de nous rendre, par-delà la vallée du Cédron, au jardin des oliviers. Le Seigneur et Ses Apôtres s’y rendent pour prier et se reposer en cette nuit. Si nous les suivons de loin avec Saint Marc, c’est parce qu’il en connait parfaitement le chemin. L’oliveraie de Gethsémani est également la propriété de sa famille.

Orgue, instrument sacré, accompagne notre marche. Fais résonner, dans cette nuit très sainte, la descente qui du Mont Sion parvient à la vallée du Cédron. Son torrent franchi, conduis-nous sur les hauteurs de ce jardin alors que l’heure où le fils de l’homme va être livré approche.

Nous voici au jardin des oliviers. Voyez-vous, sous ces arbres en fleurs les Apôtres endormis ? Quelques-uns sont en prière, il est vrai. Mais, Dieu ne comble-t-il pas son bien-aimé quand il dort ? (Ps 126, 2) Entendez l’oraison de Saint Pierre résonner dans la nuit…Venez à l’écart – surtout ne faites pas de bruit – et découvrez là-bas, le Seigneur en prière.

Bientôt, par un baiser mensonger, l’amour sera blessé au vif : « Judas c’est par un baiser que tu livres le fils de l’homme ? » (Lc 22, 48) Alors le corps du Seigneur sera livré aux soldats qui, lentement dans la nuit, quittent à présent les abords du Temple pour gagner ce jardin où Judas les conduit. Une fois encore, bien qu’étouffé, le pas de Judas sera trahi par ces trente pièces d’argent. Vous les entendrez, sonnantes et trébuchantes, se perdre avec lui dans l’obscurité de cette nuit. Si seulement en guise de corde, tu t’étais suspendu Judas à Sa miséricorde… Es-tu demeuré si étranger au Cœur du Seigneur ?

Dans la nuit silencieuse, nous parvient l’écho d’une prière répétée. Celle du Seigneur :
« Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. »
Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait.
Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre. (Lc 22, 42-44)

Orgue, instrument sacré, que ton souffle donne à entendre l’élan avec lequel, à l’avance, sans retard ni retour, le Fils s’abandonne au Père. Fais-nous sentir du jardin, la consolation angélique alors que déjà perlent sur Son front le premier sang versé. Ne cède rien à l’espérance de ce retour à Dieu, qui au dernier jour, nous ravira.

Demeurons, un instant encore, à contempler l’abandon filial. Adorons, en cette nuit très sainte, l’amour d’un Fils qui s’abandonne à Son Père. Cette communion d’amour qui les unit a un nom bien précis. N’y reconnaissez-vous pas Dieu le Saint Esprit ? Adorons sous Son ombre le Cœur Sacré du fils bien-aimé du Père.

Cœur du Christ, blessé par ceux que vous voulez sauver, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, abandonné même de vos amis, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, broyé à cause de nos péchés, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, agonisant jusqu’à la sueur de sang, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, obéissant jusqu’à la mort, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, dont le sacrifice nous sauve, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, ouvert par la lance, nous Vous adorons.
Cœur du Christ, dont l’Esprit d’Amour se répand sur nous, nous Vous adorons.

Au jardin, alors que des lèvres Judas pose son baiser, l’arrestation du Seigneur est furtive. Une telle hâte ne vous est plus étrangère. C’est la Pâque du Seigneur.

L’oreille du serviteur du grand prêtre n’a pas le temps de tomber ; Pierre qui a tiré son épée d’instinct n’a pas le temps de la rentrer au fourreau. Déjà il faut courir pour se sauver : le Seigneur est arrêté. Il y a bien eu la chute de quelques soldats, nous l’avons vu avec Saint Jean. Mais tout s’est enchainé avec une telle frénésie que nous sommes à présent bien seuls dans la nuit.

Comme jadis nos premiers parents au jardin, nous demeurons cachés dans ce buisson avec Saint Jean. C’est que dans la précipitation le jeune Saint Marc, notre compagnon, s’est enfui lui aussi. Entendez-le, dans son évangile, nous raconter au détour d’un verset la fuite de son innocence :

Les disciples abandonnèrent [Jésus] et s’enfuirent tous. Or, un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu. (Mc 14, 51-53)

Alors que nous ramassons le panache de ce drap de lin tissé, nous découvrons une présence dans la nuit. C’est la mère de Jésus, la Bienheureuse Vierge Marie. Quel réconfort ! Saint Jean, dans sa jeunesse, quitte le buisson et s’élance dans ses bras :

– « Laissez-nous ô Marie, près de vous reprendre nos esprits ». 

Alors que nous lui racontons l’horreur de cette arrestation, se lit sur son visage la tristesse et l’angoisse que seule une mère peut ressentir. Elle monte du plus profond de ses entrailles, car c’est là que le Verbe de vie a pris chair de sa chair. En Elle aucune angoisse, aucune tristesse, nulle amertume. Demeure une paix confiante qui, sans atténuer l’épreuve qui vient, se nomme Espérance.

Mais, me direz-vous, avez-vous lu tout cela sur son visage ? Est-ce dans la profondeur de ses yeux qu’il vous a été permis de goûter telle retraite ? Non. C’est qu’en disciples bien-aimés, nous nous sommes assis près d’Elle. Une fois encore, comme à son habitude, Saint Jean s’est appuyé tout contre son cœur immaculé. Et nous, disciples de la voie d’enfance, plus rien ne nous retient. La Sainte Vierge se révèle notre mère, notre cœur posé sur le sien.

Orgue, instrument sacré, sans trahir le réconfort de cette heure, fais-nous goûter dans les tourments de cette nuit, l’espérance de ce Cœur Immaculé.

Vox in Deserto Abbé Benjamin Martin

Improvisations musicales : Isaïe Ravelli